Comment Olivier Vandecasteele est devenu une monnaie d’échange entre l’Iran et la Belgique
Olivier Vandecasteele, citoyen belge, est incarcéré depuis 9 mois en Iran dans des conditions de détention très difficiles. Il vient d’être condamné à 28 ans de prison. Si l’État belge s’active à négocier sa libération, un dilemme complexe mêlant éthique et diplomatie se dresse devant lui.
Olivier Vandecasteele est originaire de Tournai. Travailleur humanitaire, il s’occupe depuis 2015 des réfugiés afghans arrivant sur le territoire iranien. En février 2022, il est arrêté et incarcéré dans la prison d’Evin à Téhéran, sans motif, dans des conditions de détention sordides. Ce mercredi, il a été condamné à 28 ans de prison.
Face à la variable inconnue des raisons de son arrestation, cette peine très lourde a rapidement été interprétée comme une prise d’otage, un moyen de pression sur l’État belge. En effet, depuis 2021, l’Iran souhaite rapatrier l’un de ses diplomates, condamné en Belgique à 20 ans de prison. L’homme en question, Assadollah Assadi avait été reconnu coupable d’un projet d’attentat « terroriste » contre l’opposition iranienne.
Si son procès s’est déroulé dans le respect de ses droits, sa détention est inadmissible pour la République islamique qui presse son retour. Dès lors, Olivier Vandecasteele servirait de monnaie d’échange contre le fonctionnaire. A la manière d’un chantage diplomatique coriace, l’Iran plaide l’échange de prisonniers comme seule solution à la privation de liberté du Belge. Seulement, pour un État démocratique comme la Belgique, ce type d’arrangements se heurte à de nombreuses problématiques, éthiques comme législatives.
Les démocraties dont l’un des citoyens est pris en otage par un régime autoritaire entretiennent un rapport de force souvent asymétrique avec leur maître chanteur : « La Belgique et l’Iran n’ont pas la même relation à l’État de droit », explique Michel Liegeois, professeur de sciences politiques et membre du Centre d’étude des crises et des conflits internationaux (CECRI). Le second attendant de la première qu’elle déroge simplement à la justice pour appliquer sa volonté.
Le dilemme est alors toujours le même : « Il y a, d’une part, les principes auxquels la Belgique est attachée qui sont notamment l’État de droit et le principe d’égalité de traitement. D’autre part, il y a un impératif humanitaire. On a un ressortissant détenu sans raison, dont la santé se dégrade, l’État ne peut pas rester insensible à ses souffrances. Venir en aide, ça fait aussi partie de ses valeurs. »
Aucune solution ne semble entièrement satisfaisante. Les sanctions à plus grande échelle sont rarement employées dans ce type de situation qui ne touchent qu’un nombre limité d’individus. Dans le cas présent, l’État belge avait pourtant rapidement fait pencher la balance en faveur du rapatriement d’Olivier Vandecasteele, quitte à en payer le prix. En mars 2022, peu après l’arrestation du travailleur humanitaire, l’exécutif avait signé un traité de transfèrement avec Téhéran. Concrètement, cet accord consistait à libérer Assadollah Assadi en échange d’Olivier Vandecasteele.
Seulement, la semaine passée, la Cour constitutionnelle a décidé de suspendre le traité, et justifie ainsi sa décision : « La Belgique sait ou doit savoir que si, en exécution du traité du 11 mars 2022, l’Iran et celle-ci s’accordent sur le transfèrement sur le territoire de l’Iran d’une personne de nationalité iranienne qui a été condamnée par les cours et tribunaux belges pour avoir commis, avec le soutien de l’Iran, une infraction terroriste en vue d’attenter à la vie d’autrui, l’Iran n’exécutera pas effectivement cette peine ». Une fois rentré dans son pays, le diplomate iranien retrouvera probablement son statut haut-gradé. L’échange de prisonnier signifierait alors absoudre indirectement la peine d’un terroriste, et fatalement ne pas respecter le principe d’égalité prescrit par la Constitution. Si la Cour doit encore se prononcer sur l’annulation, d’ici là, le gouvernement ne pourra invoquer le texte pour procéder à un échange.
Pour ses proches, c’est une épreuve qui s’ajoute à leur chagrin. Fin novembre, ils annonçaient qu’Olivier Vandecasteele entamait une grève de la faim. Son état de santé précaire les inquiète. Ces déclarations et la condamnation récente ont entrainé un regain d’intérêt pour l’affaire. Le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD), la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib (MR) et le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open VLD) ont reçu mardi la famille, et réitéré leur soutien.
Il ne faut pas se leurrer, à l’avenir, on aura de plus en plus de cas comme celui-ci. On doit se préparer à négocier au niveau belge comme au niveau européen
Tanguy Struye de Swielande
Si la communication joue un rôle important dans ce type de conflit diplomatique, pour le professeur en relations internationales à l’UCL, Tanguy Struye de Swielande, la discrétion est souvent la meilleure stratégie : « La couverture médiatique peut avoir un impact positif, bien sûr, comme cela a été le cas pour la basketteuse américaine (Brittney Griner ndlr.). Seulement, plus on en parle, plus l’otage, en tant que monnaie d’échange, gagne en valeur, ce qui entraine encore plus de pression sur les États. »
Les mains liées, les démocraties ont souvent peu d’autres choix que de céder aux pressions pour secourir leurs citoyens. Tanguy Struye de Swielande s’inquiète d’une augmentation de prises d’otages menées par des États autoritaires à l’avenir. Pour lui, c’est d’ailleurs un problème qui s’ajoute au dilemme du cas Olivier Vandecasteele. Si la Belgique se plie aux exigences, elle envoie le message à l’international que ses citoyens sont un moyen de pression particulièrement efficace. Difficile pourtant, voire impossible, de rester inflexible. « Il ne faut pas se leurrer, à l’avenir, on aura de plus en plus de cas comme celui-ci. On doit se préparer à négocier au niveau belge comme au niveau européen. » estime le professeur.
Maïna Boutmin
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