Le 12 août, l’armée a investi la prison où le chef de bande Fito, qui avait menacé l’homme politique assassiné, était détenu. © belgaimage

Comment le trafic de drogue a gangrené l’Equateur

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

En Equateur, l’assassinat du candidat à la présidentielle Fernando Villavicencio met en exergue la faiblesse de l’Etat face aux narco-trafiquants.

L’assassinat, le 9 août, du candidat à l’élection présidentielle Fernando Villavicencio, tué de trois balles dans la tête à l’issue d’un meeting dans la capitale Quito, bouleverse la société par le cap supplémentaire de violence qu’il fait passer à l’Equateur. Mais si on analyse l’évolution de la situation sécuritaire du pays au cours des dernières années, il reflète scrupuleusement la descente aux enfers que connaît l’Etat andin.

Le modus operandi de l’attentat rappelle les méthodes des sicarios, les tueurs à gages. L’assassin présumé, blessé lors de l’échange de tirs qui a suivi, est décédé. Six autres personnes ont été arrêtées, apparemment de nationalité colombienne. Dans une vidéo, des hommes cagoulés se présentant comme membres du gang Los Lobos ont revendiqué l’attaque. Dans une autre, des responsables de ce groupe ont démenti toute implication. Fernando Villavicencio, un ancien journaliste, avait affirmé pendant la campagne électorale avoir reçu des menaces de Jose Adolfo Macias, dit Fito, le chef de l’organisation criminelle Los Choneros. L’homme a été condamné à 34 années de prison pour assassinat et trafic de drogue. La prison n°8 de Guayaquil, ville portuaire et épicentre des activités des narco-trafiquants en Equateur, a été le théâtre, le 12 août, d’une vaste opération de l’armée et de la police (4 000 hommes mobilisés). Fito, qui a été transféré vers un centre de «sécurité maximale», y purgeait sa peine depuis 2011. En Equateur, l’emprisonnement n’empêche pas la poursuite des activités criminelles. Les établissements pénitentiaires sont régulièrement secoués par des affrontements sanglants entre bandes. Plus de cinq cents prisonniers y sont morts depuis le début de 2021. Entre le 22 et le 24 juillet, le dernier épisode en date a coûté la vie à 31 détenus dans une autre prison de Guayaquil.

L’intervention de l’armée dans le centre de détention de Fito restera comme le dernier sursaut, tardif, du président Guillermo Lasso dans le combat contre les trafiquants de drogue. Son mandat raccourci a été marqué par le recours régulier à l’état d’urgence, treize fois depuis mai 2021, sans que le niveau de la sécurité dans le pays en soit fondamentalement amélioré. Il l’a à nouveau décrété après l’assassinat de Fernando Villavicencio.

Vers Rotterdam et Anvers

L’impuissance de l’Etat, en raison de sa faiblesse institutionnelle, est l’un des motifs souvent invoqués pour expliquer la place prise désormais par l’Equateur sur l’échiquier du trafic international de la drogue. Les spécialistes situent la dégradation de la situation au moment du changement de pouvoir, en 2017, entre le président Rafael Correa et son successeur, Lenin Moreno, tenant d’une politique libérale d’austérité. Sous son mandat, le ministère de la Justice et le secrétariat à la Politique des drogues ont été démantelés, le budget de la sécurité a été réduit.

Sur ce contexte politique, est venue se greffer l’évolution du marché de la drogue. La cocaïne a perdu des «parts de marché» aux Etats-Unis en raison de la concurrence des produits de synthèse comme le fentanyl. Les cartels mexicains et colombiens ont dû réorienter une partie de leur production vers l’Europe. Il a fallu trouver de nouvelles filières d’acheminement. L’Equateur, «enclavé» entre les deux plus gros producteurs de drogue latino-américains que sont la Colombie et le Pérou, est devenu un lieu prisé pour l’envoi des cargaisons vers l’Europe, par le canal de Panama, au départ de ses ports sur l’océan Pacifique, en particulier celui de Guayaquil. C’est dans un conteneur de bananes d’un navire provenant d’un de ceux-ci qu’a été effectuée, le 13 juillet, la plus grosse saisie de cocaïne jamais réalisée dans les installations portuaires de Rotterdam: 8 064 paquets d’un kilo pour une valeur de 600 millions d’euros. Anvers est aussi un lieu de destination courant.

L’évolution des schémas d’activité criminelle a donné à l’Equateur un rôle beaucoup plus important.

«L’Equateur est depuis longtemps une plaque tournante de transit pour les drogues illicites […] Mais l’évolution des schémas d’activité criminelle ainsi que l’essor de la production de coca et de cocaïne en Colombie ont donné au pays un rôle beaucoup plus important dans la chaîne d’approvisionnement en stupéfiants, approfondissant son implication dans la production, le raffinage, le stockage et le transport», relève une étude de l’International Crisis Group, publiée en novembre 2022. Conséquence: une explosion de la violence due aux règlements de comptes entre bandes. Entre 2021 et 2022, le taux d’homicide dans le pays est passé de quatorze à 25 pour 100 000 habitants.

La corruption à son plus haut niveau en Equateur

A côté du trafic de drogue, la corruption est l’autre thème qui rythme la vie politique équatorienne. En mai dernier, Guillermo Lasso a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale parce qu’il était sous la menace d’une procédure en destitution à la suite d’accusations sur son implication présumée dans des affaires de corruption et d’entrave dans une enquête policière. Fernando Villavicencio, lui, devait une partie de son succès à ses enquêtes en tant que journaliste sur des dossiers de corruption, la plus notable ayant visé l’ancien président Rafael Correa et des membres de son administration. Les poursuites judiciaires qui en ont découlé ont conduit à la condamnation de l’ancien chef d’Etat à huit ans de prison, par contumace, puisqu’il vit désormais en Belgique. Dans une interview accordée au Soir le 10 août, Rafael Correa, parlant de Fernando Villavicencio, explique que «sa façon de faire de la politique était de dénoncer, toujours et encore»… Il ne fait aucune mention de la dénonciation qui l’a visé. Et pour cause.

Le candidat assassiné était souvent présenté comme un «anti-Correa». Dans les derniers sondages avant l’élection présidentielle, maintenue au 20 août, Fernando Villavicencio apparaissait, avec 13% des voix, comme le deuxième candidat le mieux placé pour briguer le poste, derrière Luisa González, 45 ans, 26,6% d’estimation de voix, soutenue par… l’ancien président Rafael Correa. Le parti centriste Construye, défunt de son leader, a décidé, le 13 août, de lui opposer Christian Zurita, 53 ans, journaliste lui aussi et désirant vouloir suivre intégralement le programme de Fernando Villavicencio.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire