Comment le Qatar a fait foirer ses 10 ans de soft power en quelques heures
En à peine 24 heures, le Qatar -main dans la main avec la FIFA- semble montrer au monde entier qu’il n’est pas une terre d’ouverture, encore moins un pays de football. Après un peu plus de dix années de soft power et de milliards investis dans le sport, le pays hôte de la Coupe du monde 2022 enchaine les répressions et les fausses notes, dès les premières heures de la compétition. Florilège édifiant.
Investir dans le sport, et redorer son image à coups de milliards. Voilà la mission que s’est donnée le Qatar depuis un peu plus de dix ans. Avec comme apothéose, une Coupe du monde censée montrer à la terre entière à quel point ce pays du golf serait séduisant.
Mais en se voyant attribuer l’événement le plus suivi de la planète en 2010 -non sans soupçons de corruption-, l’émirat s’est aussi tiré une balle dans le pied. Il a braqué sur la petite péninsule les projecteurs des associations et des médias occidentaux, qui ont mis en lumière, plus la Coupe du monde approchait, le non-respect de droits humains fondamentaux. Les 6.500 travailleurs morts suite à des conditions dantesques est l’exemple le plus cinglant qui a provoqué les interrogations du monde entier. Les appels au boycott, nombreux, n’ont pas empêché la compétition de se dérouler, et encore moins d’être diffusée par toutes les chaînes TV qui en ont acquis les droits.
Dans toute l’histoire du football, jamais un début de Coupe du monde n’a donc été aussi chahuté. Prévisible, oui, mais les premières heures qui entouraient le lancement du tournoi ont confirmé –s’il le fallait encore- deux choses. Le Qatar n’est pas une terre d’ouverture, comme le soutenait pourtant Tamim ben Hamad Al Thani, l’Emir du pays, dans son discours d’ouverture. Le Qatar n’est pas non plus une terre de football.
Qatar : fake et répressions
A 17h00, dimanche, le lancement de la fête du football sonne faux, très faux. Quelques heures auparavant, le président de la FIFA, Gianni Infantino, -au passage désormais résident Qatari- prononce un discours lunaire, où il minimise les pratiques du Qatar et fustige « l’hypocrisie occidentale ». Une conférence de presse où il justifie également la décision de la FIFA, en last minute, d’interdire la vente d’alcool aux alentours des stades. Cette décision répressive est le fruit de pressions qui émanent directement, dit-on, de l’entourage de l’Emir qatari. La fédération mondiale du football a ainsi tranché en faveur du pays hôte, aux dépens du sponsor bibitif XXL, Budweiser, qui avait pourtant allongé des millions pour voir ses stands servir de la bière aux milliers de supporters autour des stades.
Dans un match d’ouverture qui a montré toutes les limites sportives du Qatar –et ce malgré une préparation intensive et des dizaines de joueurs naturalisés- face à l’Equateur, les premiers couacs commencent à tomber. D’abord autour du stade, où l’ambiance est désertique, au propre comme au figuré, en comparaison avec les atmosphères chaleureuses habituellement observées lors de la fête mondiale du ballon rond.
Dans le stade, aussi, où l’ambiance « Disneyland » de la cérémonie d’ouverture laisse place à un calme interpellant malgré les nombreux faux supporters soudoyés par le Qatar. La décrédibilisation est à son paroxysme. Et dans cette atmosphère de plus en plus malaisante, seuls les « Queremos cerveza » (« Nous voulons de la bière ») des Equatoriens résonnent comme un nouveau pied de nez à la FIFA, alors que le stade se vide à vue d’oeil en seconde période. Du jamais vu pour un match d’ouverture d’un Mondial.
Ce supporter de l’Equateur, qui, entouré de Qataris, se lève dans la foule pour mimer de l’argent, rajoute une couche à ce mauvais folklore. A l’heure de l’instantanéité et des réseaux sociaux, le Qatar va sans doute se rendre compte –un peu trop tard- qu’il devient difficile de tout cacher.
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Le brassard « One Love » ne sera pas porté au Qatar
Il n’a fallu qu’une petite nuit de sommeil pour voir l’émergence d’un nouveau scandale. Menacées de sanctions par la FIFA, plusieurs sélections européennes se sont vues contraintes de renoncer à porter le brassard coloré « One Love », symbole d’inclusion. Pour le capitaine anglais Harry Kane, pas de geste militant, donc, en faveur de l’inclusion et de la diversité: la polémique, croissante ces derniers jours, s’est soldée par une reculade des sept fédérations européennes à l’origine de l’initiative « One Love », leurs joueurs étant menacés de carton jaune en cas de non-respect du règlement.
« Nous étions prêts à payer des amendes (…) mais nous ne pouvons pas mettre nos joueurs dans la situation où ils pourraient être avertis, voire devoir quitter le terrain » (en cas de second carton jaune), ont écrit les fédérations de ces sept pays, se disant « frustrées » par l’inflexibilité de la FIFA dans un communiqué commun.
Cette dernière, qui voyait dans ces brassards colorés une critique implicite du pays hôte, avait réagi en dégainant ses propres brassards de capitaine, porteurs de messages beaucoup plus consensuels, comme « Sauvez la planète », « L’Éducation pour tous » ou encore « Non aux discriminations ». Initialement partie prenante de l’initiative « One Love », la France avait déjà annoncé par la voix de son capitaine Hugo Lloris qu’elle ne porterait pas le brassard.
La Belgique contrainte de modifier son maillot extérieur
Aujourd’hui, la Belgique a également fait les frais de cette politique répressive. La fédération belge s’est en effet vue obligée de modifier son maillot extérieur, selon Sudinfo. Sur ce dernier, fruit d’une collaboration entre Adidas et Tomorrowland, figure un graphisme aux couleurs qui symbolisent la diversité, l’égalité et l’inclusion. Avec un terme, « Love », inscrit sur la vareuse, qui ne plaît visiblement pas à la FIFA : «C’est triste, mais la FIFA ne nous laisse pas le choix. Pour le reste, l’équipement reste inchangé», indique au quotidien le CEO de l’Union Belge, Peter Bossaert.
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Logistique et protestation iranienne
Enfin, et pour la première fois dans une Coupe du monde moderne, les stades hôtes sont distants de quelques kilomètres seulement: comment les autorités vont-elles gérer ces flux de population inédits dans un pays de moins de trois millions d’habitants? Le million de supporters attendus durant un mois pourrait créer de nombreux soucis logistiques. C’est aussi un test crucial pour le dispositif de sécurité avec la venue des bouillants supporters anglais, qui seront privés de bière au stade pour l’entrée en lice des « Three Lions » contre l’Iran.
Un match qui a vu les onze joueurs iraniens s’abstenir de chanter leur hymne national avant le coup d’envoi. Durant la semaine, leur capitaine Alireza Jahanbakhsh avait expliqué que les joueurs décideraient « collectivement » de chanter ou non l’hymne national en signe de soutien aux victimes des manifestations durement réprimées dans leur pays. Pendant cet hymne, les caméras ont brièvement montré le visage d’une spectatrice d’une cinquantaine d’années, voile blanc sur la tête, le visage baigné de larmes.
Les joueurs ont gardé le visage totalement impassible, tandis que sur le banc, un membre de la délégation chantait. La star de l’équipe, Sardar Azmoun, qui a dénoncé la répression sur les réseaux sociaux, n’était pas titulaire.
« Femmes Vie Liberté », pouvait-on lire en anglais sur une banderole dans les tribunes occupées par les Iraniens, qui, retirée, a vite disparu.
Depuis le début du soulèvement en Iran, causé par la mort le 16 septembre de la jeune Mahsa Amini (22 ans), arrêtée par la police des mœurs à Téhéran pour ne pas avoir respecté le code vestimentaire strict imposé par le régime, le refus de chanter l’hymne de la République islamique est devenu l’un des leviers utilisés par les sportifs iraniens pour manifester leur soutien au mouvement.
Plus que jamais, et en dehors du cadre purement sportif, oui, le football est éminemment politique. La Coupe du monde qatarie est le terrain de jeu parfait pour l’observer: les enjeux géopolitiques liés au ballon rond sont immenses. Depuis sa création, ou presque. N’en déplaise à Emmanuel Macron.
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