Comment la Russie prépare (déjà) l’après-Wagner: « Discrètement, d’autres vont prendre les choses en main »
Orphelin de son chef Prigojine et de son bras droit Outkine, le groupe Wagner voit son avenir s’écrire en pointillé. Coupés du financement russe, les mercenaires paramilitaires semblent voués à reculer au second plan. Au profit d’autres sociétés militaires privées?
La mort d’Evguéni Prigojine et de son bas droit Dimitri Outkine jette un voile sur l’avenir du groupe paramilitaire Wagner. Pour Nina Bachkatov, docteure en science politique et spécialiste de la Russie, la disparition du second cité n’est pas à sous-estimer. « La mort de Dimitri Outkine, selon moi, est presque plus importante que celle de Prigojine. Outkine était beaucoup plus radical politiquement parlant. C’est lui, par exemple, qui conduisait la colonne rebelle partie de Rostov. C’est un vrai militaire, alors que Prigojine a toujours été plus théâtral, presque adolescent », décrit-elle.
« Sans son principal créancier et son bras droit, les choses ne se présentent pas bien pour Wagner. Mais l’organisation reste une nébuleuse tentaculaire. Avec d’autres leaders potentiels », rappelle Alain De Neve, analyste au sein de l’Institut Royal Supérieur de Défense (IRSD).
Les rumeurs sur le potentiel successeur de Prigojine vont d’ailleurs bon train. Andrei Troshev, figure historique du groupe Wagner et proche de Poutine, est régulièrement cité. Il est considéré par le Kremlin comme « le véritable commandant de Wagner » depuis le début. Mais pour Alain De Neve, il convient de rester prudent. « Comme souvent en Russie, un nom émerge contre toute attente, déjouant les pronostics des successeurs pressentis. Cela se vérifie d’ailleurs dans l’histoire de tous les présidents russes depuis l’Union soviétique », retrace-t-il.
Après Wagner, de nouvelles sociétés militaires privées
Si l’organisation paramilitaire est donc loin d’être dissoute, elle a, et c’est le cas de le dire, pris un coup dans l’aile. Début de semaine, la Russie a d’ailleurs envoyé des émissaires politiques en Libye pour organiser la présence des sociétés militaires privées, qui sont désormais reconnues dans l’ordre juridique russe. Wagner ne fait plus partie de ces nouveaux projets. « A cet égard, ça sent donc mauvais pour eux. L’organisation n’a pas accepté de se mettre sous la coupe de ce décret. La Russie montre donc cette volonté de reprendre le contrôle d’un certain nombre de structures privées », analyse Alain De Neve.
Depuis la rébellion avortée, les hommes de Wagner avaient le choix de retourner au pays, intégrer l’armée régulière, ou rejoindre une société militaire privée (SMP) reconnue par le nouveau décret. « D’ailleurs, plusieurs SMP, avec pignon sur rue, ont récemment été créées en Russie. Il est fort probable que ces dernières prennent les choses en main, notamment en Afrique », prédit l’expert en défense.
La Russie montre cette volonté de reprendre le contrôle d’un certain nombre de structures privées.
Alain De Neve
Plusieurs observateurs affirment que c’est cette nouvelle concurrence qui a poussé Prigojine à revenir en Russie, afin de négocier avec le Kremlin pour conserver son marché en Afrique. Une démarche visiblement peu appréciée…
Coupée du financement gouvernemental, Wagner pourrait vite s’essouffler, ou, du moins, revoir ses ambitions à la baisse. « Des services de sécurité et de renseignements russes étaient également infiltrés dans Wagner et maintenaient un certain lien avec l’Etat. Sans ces éléments, il est certain que Wagner ne pourra plus disposer de la force de frappe qui était la sienne », avance Alain De Neve.
Quel impact sur la guerre en Ukraine ?
Cet affaiblissement programmé aura-t-il un quelconque impact sur la guerre en Ukraine ? « Sur le terrain ukrainien, les « prouesses » de Wagner sont restées symboliques, puisque la ligne de front n’a pas spécialement bougé en neuf mois. C’est d’ailleurs pour cette raison que Prigojine a cru bon de rejeter la responsabilité de cette stagnation sur le ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou, et le chef de l’état-major, Valéri Guérassimov », décrypte Alain De Neve.
On peut s’attendre à une grande redistribution du personnel et des moyens, de façon très discrète.
Alain De Neve
« Leur absence n’aura pas réellement d’influence sur la guerre en Ukraine, abonde Nina Bachkatov, car l’organisation avait déjà quitté les lieux depuis un moment. Et le front est d’ailleurs beaucoup plus structuré depuis leur départ. Toutefois, l’Ukraine pourra se servir de ce nouvel événement pour prouver la mésentente russe et la monstruosité de Poutine ».
Il est donc peu probable de revoir Wagner sur le terrain ukrainien, hormis via les hommes qui ont signé un contrat avec l’armée régulière russe. En Afrique, leur rôle est également compromis. Pour Nina Bachkatov, Poutine a commis l’erreur de reconnaître le financement de l’Etat dans Wagner, ce qu’il avait toujours nié dans le passé. Les mercenaires ne peuvent donc plus agir indépendamment, en toute impunité. « On peut s’attendre à une grande redistribution du personnel et des moyens, de façon très discrète », ajoute Alain De Neve.
Vers une nouvelle rébellion ?
Sur les réseaux sociaux et les chaînes Telegram, des partisans appellent à nouvelle rébellion pour se venger de l’acte supposément commis par Poutine. Pour Alain De Neve, « voir Wagner recommencer une recette qui n’a pas fonctionné est peu probable. Lors de la tentative de rébellion fin juin, il n’y avait d’ailleurs pas autant d’hommes que l’on pensait. »
Nina Bachkatov abonde. « On ne peut pas exclure qu’il y ait de la violence, mais pas jusqu’au point d’assister à une nouvelle tentative de putsh. Avec leurs leaders, la dernière tentative avait été une comédie sans nom. Alors sans eux… »
On ne peut pas exclure qu’il y ait de la violence, mais pas jusqu’au point d’assister à une nouvelle tentative de putsch.
Nina Bachkatov
Il apparaît donc très incertain de voir une volonté et une capacité suffisante chez Wagner pour mobiliser une nouvelle révolte, sans but précis. « Et si tel est le cas, le candidat qui pourrait émerger d’un coup d’Etat en Russie risquerait de ne pas satisfaire les intérêts de ceux qui auraient provoqué ce même coup d’Etat. Ce serait paradoxal », résume l’expert de l’IRSD.
« Pour l’instant, prolonge-t-il, force est de constater que la Russie ne se fait pas mordre sur son territoire, et ce sont pas les quelques attaques de drones sur Moscou qui remettent en cause leur sécurité nationale. Avec l’élimination présumée de Prigojine, Poutine envoie un sérieux signal. Il applique un certain nombre d’actes dans un calendrier qu’il est le seul à fixer, et peut-être le seul à comprendre ».
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