Comment Israël va mener son opération terrestre à Gaza : « Beaucoup de pièges les attendent »
L’opération terrestre d’Israël à Gaza, redoutée de toutes parts, semble connaître ses prémices. Face à « une angoisse américaine », la logique opérationnelle de Tsahal demeure claire. Ses conséquences dévastatrices, la question des otages ou les pièges tendus par les sentinelles du Hamas ne sont pas rédhibitoires aux yeux des forces israéliennes. Une guerre bidimensionnelle et psychologique, relève Didier Leroy, chercheur à l’Ecole Royale Militaire (ERM) et spécialiste du Moyen-Orient. Interview.
L’opération terrestre d’Israël, annoncée depuis de nombreux jours, semble connaître ses prémices. Comment expliquer ce timing ?
Didier Leroy : « Vu l’ampleur de l’opération évoquée, et ses enjeux extrêmement élevés, plusieurs facteurs peuvent expliquer ce standby d’Israël. L’acheminement et l’équipement des troupes, ou la logistique sont des éléments chronophages.
Pour Gaza, mais aussi pour les rangs de Tsahal (NDLR: nom de l’armée israélienne), il y a une certitude quant au fait que cette opération sera dévastatrice. A cet égard, l’armée israélienne prend donc le temps de bien briefer, voire de reformer les recrues les moins aguerries. Afin de minimiser leurs pertes, les Israéliens doivent aussi glaner un maximum de renseignements (humain, satellite ou via des pays alliés). Les assaillants du Hamas qui ont été faits prisonniers peuvent également représenter une source d’information. »
A quel point cette opération d’Israël est-elle risquée ?
Didier Leroy : « Les risques d’une telle opération sont très élevés. D’ailleurs, les Etats-Unis ont complètement changé leur ligne de conduite vis-à-vis d’Israël puisque dans le passé, l’administration Biden avait fait comprendre à Netanyahu qu’il était persona non grata à Washington. Suite à l’opération du Hamas, le curseur s’est déplacé à l’autre extrémité du spectre. L’appui américain est désormais effectif et maximal. Llyod Austin, Anthony Blinken et Joe Biden se sont tous rendus en Israël. Deux porte-avions américains, et pas des moindres, sont en appui. Ce sont des signaux clairs.
Mais ils témoignent surtout d’une certaine angoisse américaine. Dans le sens où cette implication suggère aussi une crainte que Netanyahu permette à Tsahal de faire les choses « à l’israélienne ». Concrètement, les américains ne s’approprient pas l’opération terrestre, mais augmentent leur contrôle par peur de voir un esprit revanchard exacerbé dans le chef d’Israël. L’objectif est d’éviter à tout prix l’embrasement régional. »
A quoi peut-on s’attendre d’un point de vue opérationnel et tactique ?
Didier Leroy : « Beaucoup de pièges attendent l’armée israélienne au sein de Gaza. Dans un milieu urbain, tout peut être propice au traquenard: véhicules, portes ou fenêtres sont à chaque fois des risques potentiels. Des snipers du Hamas peuvent aussi être positionnés sur les bâtiments en hauteur qui n’auront pas été ‘couchés’ par les bombardements aériens.
Le fait qu’Israël prenne son temps avant cette opération relève de la « guerre psychologique », dans le sens où les sentinelles du Hamas qui sont prêtes à détoner des pièges seront moins « frais » plus les jours passent. »
Quelle est la logique militaire de Tsahal ?
Didier Leroy : « Elle est claire : affaiblir le Hamas. La question des otages devient secondaire. Israël veut ramener le combat qui se profile dans un champ bidimensionnel. Pour ce faire, les avions de Tsahal « aplatissent » les tours susceptibles de servir de poste d’observation ou de sniper. Cela vise à réduire la troisième dimension au-dessus du niveau de la mer.
Dans son mode opérationnel, Israël commence toujours par décapiter le leadership de la composante armée. C’est une constante de l’histoire. Sur le long terme, cette stratégie est vaine, mais elle permet de gagner du temps pour les opérations sur le court terme. Ainsi, tout ce qui est susceptible de faire partie des infrastructures militaires sera démoli. C’est surtout grâce à son réseau de tunnels que le Hamas a pu devenir si robuste, en restant sous les radars. »
Comment comptent-ils opérer pour détruire ce réseau sous-terrain si redouté ?
Didier Leroy : « S’il y a bien un objectif militaire qui doit être atteint, c’est la neutralisation de ce « métro de Gaza ». Une véritable ville souterraine dans laquelle les hommes et le matériel militaire du Hamas se cachent.
Pour y parvenir, trois options sont souvent évoquées.
- Première option : déverser de l’eau des égouts dans µles tunnels. Cela rend les infrastructures non-opérationnelles sur le court terme, mais ça ne le démolit pas.
- Deuxième option : poser des charges explosives pour que les tunnels s’effondrent sur eux-mêmes.
- Troisième option : y couler du béton. Cette dernière option avait déjà utilisée par Tsahal sur le front nord face au Hezbollah, il y a quelques années. Dans le courant des années 2010, l’armée égyptienne avait également détruit plusieurs tunnels du Hamas au départ du Sinaï égyptien. »
L’utilisation de chars est parfois remise en cause. A quel égard seraient-ils utiles pour Israël dans un milieu urbain surpeuplé ?
Didier Leroy : « Ils le sont surtout pour tirer horizontalement. L’angle d’un canon ne permet pas de viser des cibles au 20e étage d’un immeuble. C’est dans cet esprit-là que l’aviation est en train de « coucher » les buildings les plus hauts. Cela permet de ramener les échanges de tirs dans un champ le plus horizontal possible, où les chars retrouvent alors de leur utilité. Un char est vulnérable par le haut. Il ne sait pas se défendre face à un projectile vertical, car il est moins renforcé sur sa face supérieure. »
Le Hamas a-t-il les capacités de résister face à la force de frappe israélienne ?
Didier Leroy : « Les Israéliens savent qu’il ne vont pas entièrement éradiquer le Hamas, mais ils veulent l’affaiblir comme jamais. Oui, le Hamas peut résister, mais on ne sait pas combien de temps ni sur quelle portion de territoire. A l’heure actuelle, personne n’a une vision claire de l’équilibre des forces. Ni Tsahal, ni le Hamas lui-même n’ont de véritables idées de la rudesse des combats qui auront lieu. »
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