Le quartier Rummelsburger Bucht est un modèle de complexe de logements végétalisés à Berlin. © getty images

Comment Berlin va devenir une « ville éponge »

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

La capitale allemande lance un gigantesque chantier pour tenter de limiter les effets de la crise climatique. L’idée phare du projet berlinois : que l’eau de pluie ne soit pas perdue.

Stephan Natz nous a donné rendez-vous à l’ombre d’une petite rangée d’arbres, à l’intersection d’une avenue large et bruyante et d’une rue résidentielle menant vers le lac de Rummelsburg, dans la partie est de Berlin.

Des rangées d’immeubles en brique de six étages, aérées et entourées d’espaces verts, se succèdent sur les rives de cette baie formée par la Spree, la rivière qui traverse la capitale allemande. Cette ancienne zone industrielle dédiée à la chimie durant le régime communiste a été reconvertie dans les années 1990 en logements soignés, visiblement destinés à une classe moyenne plutôt aisée.

En cas de sécheresse

«Pourquoi sommes-nous ici? demande Stephan Natz en désignant le gazon qui se déroule en contrebas à ses pieds. Parce que nous sommes sur un système d’évacuation des eaux de pluie! Ce que vous voyez est une cuvette végétalisée.

Si vous regardez plus attentivement, vous verrez qu’il n’y a ni rigoles ni bouches d’égout dans cette rue. Le revêtement est légèrement incliné pour que l’eau de pluie s’écoule directement et sans entrave vers la cuvette. En cas de chaleur, l’eau s’évapore et contribue à rafraîchir la température dans le quartier. En cas de sécheresse, elle alimente en eau les arbres qui sont plantés là.»

Dépollution

De fait, les troncs vigoureux que désigne le porte-parole des Berliner Wasserbetriebe, l’entreprise municipale de distribution de l’eau de la capitale, affichent une circonférence trois fois supérieure à celle de leurs congénères plantés un peu plus loin au même moment, mais aux racines hors de portée de ce bassin large de 2,5 mètres et de trente à cinquante centimètres de profondeur.

L’eau de pluie des cuvettes, potentiellement polluée quand elle atteint le sol, est «nettoyée» par la couche de terre nourricière d’une trentaine de centimètres d’épaisseur, riche en micro-organismes.

Certes, c’est cher. Mais il faut penser en coûts de long terme.

Pas de recette unique

Les cuvettes végétalisées de la rue Emma-Ihrer ne sont qu’un des éléments faisant de ce quartier l’un des exemples les plus avancés du concept de ville éponge à la berlinoise. «Ici, tous les toits sont végétalisés, précise Stephan Natz. Ceux des bâtiments comme ceux des parkings souterrains. Tout est prévu pour que l’eau de pluie ne soit pas perdue

La ville éponge dispose de quantité d’outils: citernes, rigoles autour des arbres, cuvettes, toits verts… «Quand on parle de ville éponge, il n’y a pas de recette brevetée, souligne l’architecte paysagiste Carlo Becker. On parle d’une cascade de différents modules et éléments à superposer les uns aux autres. On commence par le toit vert. Mais un toit vert de dix centimètres d’épaisseur est vite saturé en cas de pluie persistante et finit par déborder. On ajoute alors une citerne qui permettra d’arroser les arbres en cas de sécheresse. Et un parterre d’évaporation, pour rafraîchir l’atmosphère en cas de forte chaleur, etc.»

Parce que l’eau est rare

Le quartier de Rummelsburger Bucht n’est qu’une des pièces du puzzle qui fera un jour de Berlin une ville éponge, une ville qui stocke l’eau de pluie pour la restituer en période de sécheresse, au lieu de la perdre dans les égouts.

«Le concept est celui d’une gestion des eaux de pluie qui intègre les périodes de sécheresse et de canicule mais aussi les pluies diluviennes qui font déborder les canalisations, poursuit Carlo Becker. La ville éponge intègre le fait que l’eau est rare, la garde, comme le ferait une éponge.»

Le concept s’impose

A 66 ans, l’homme est l’un des pères du concept. Depuis les années 1990, son bureau berlinois travaille à sa mise en œuvre dans les grands projets immobiliers, comme le parc technologique d’Adlershof, édifié à la chute du Mur à la lisière sud-est de la ville, ou le nouveau quartier de logements qui doit voir le jour sur le tarmac de l’ancien aéroport de Tegel, au nord de la capitale.

Les résultats sont convaincants. «Souvenez-vous des terribles pluies des 29 et 30 juin 2017, rappelle Stephan Natz. Il était tombé deux cents litres d’eau en 24 heures sur Berlin, et on voyait des gens nager ou faire du bateau dans les rues transformées en rivières… Le lendemain, nous avons inspecté les dispositifs, aussi bien à Adlershof qu’au Rummerlsburger Bucht. Partout, les systèmes ont fonctionné. Pas d’inondation! Depuis, le concept de gestion décentralisée des eaux de pluie et de ville éponge s’est imposé pour tous les nouveaux projets en centre-ville.»

Agence des eaux de pluie

A la suite de cet épisode dramatique dans certains quartiers, la capitale allemande décidait de mettre fin au ruissellement des eaux de pluie vers les canalisations pour tout nouveau projet de construction à compter de janvier 2018. En parallèle, une Agence des eaux de pluie a vu le jour, chargée de conseiller maîtres d’œuvre et particuliers.

Le projet est ambitieux. On parle de ville éponge lorsque 30% de la surface urbaine captent l’eau de pluie. On est loin du compte. Trente pour cent de la surface totale de la ville sont bétonnés ou goudronnés, avec des routes, des places, des immeubles. Transformer le bâti pour le rendre compatible avec les règles de la ville éponge pose de vrais défis.

«Souvent on est en conflit avec la protection du patrimoine, regrette Günter Müller-Czygan, professeur à l’université de Hof, en Bavière. C’est une question politique, non technique, car il y a des solutions, même pour les toits inclinés. Et c’est une question de coûts. Certes, c’est cher. Mais il faut penser en coûts de long terme, à l’échelle d’une vie. Que me coûte le fait de transformer ma maison? Et que me coûte une inondation?»

Une question de coûts pour Berlin

Faire de Berlin une ville éponge coûterait cinq à dix milliards d’euros, selon les calculs des Berliner Wasserbetriebe. Un mètre carré de cuvette végétalisée coûte neuf euros. Il faut compter soixante euros du mètre carré pour transformer un trottoir pavé en surface verte, quatre fois plus s’il faut changer la terre…

Du point de vue des architectes urbains convaincus du projet, chaque chantier représente une chance d’installer de nouvelles rigoles souterraines, de nouvelles cuvettes végétales. Dans les faits, la réalisation est souvent compliquée, se heurte aux résistances ou au manque de connaissance de services aussi variés que ceux de la construction des routes, de la plani- fication urbaine, des espaces verts, des eaux…

«Chacun a son propre système de règles, souligne Carlo Becker. Et sa propre vision des choses. Berlin est relativement précurseur en Allemagne. Mais il faut accélérer le rythme si on veut atteindre les 30% de la surface urbaine.»

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