Chine: le troisième mandat de Xi Jinping plonge le monde dans l’inconnu
Le président chinois Xi Jinping a été reconduit dimanche à la tête du Parti communiste, désormais composée de proches alliés, devenant le dirigeant le plus puissant depuis Mao Tsé-toung, fondateur du régime.
L’homme fort de Pékin a promis de « travailler dur dans l’accomplissement » de ses « tâches », immédiatement après avoir obtenu un troisième mandat de cinq ans, par un Comité central largement remanié du Parti communiste chinois (PCC). Au Grand palais du peuple à Pékin, Xi Jinping, qui préside la Chine depuis dix ans, est arrivé dimanche à la tribune surmontée de la faucille et du marteau. Il était suivi des six autres hommes nommés au sommet du pouvoir chinois, tous des proches et alliés.
Xi a « remercié sincèrement l’ensemble du Parti pour la confiance placée en nous », la nouvelle équipe dirigeante. « La Chine ne peut pas se développer sans le monde et le monde a aussi besoin de la Chine », a ensuite affirmé devant la presse le dirigeant, également reconduit aux commandes de l’armée chinoise. En une décennie à la tête du pays, Xi Jinping a réussi le pari de faire de la Chine la deuxième économie mondiale, dotée d’une des armées les plus puissantes au monde.
Aucune femme au Bureau politique
Le 20e congrès du PCC s’est refermé samedi après une semaine de délibérations à huis clos, avec le renouvellement de 65% des membres du Comité central, sorte de parlement interne au parti, selon des calculs de l’AFP. Au cours de leur première réunion dimanche matin, les 205 membres de ce parlement – dont 11 femmes seulement – ont désigné les 24 représentants du Bureau politique, l’instance de décision du PCC. Celui-ci, pour la première fois en 25 ans, ne compte aucune femme. Aucune n’a été nommée dans le Bureau politique pour remplacer Sun Chunlan, l’unique femme qui en faisait partie et a pris sa retraite. Le « parlement » a aussi désigné dimanche matin le nouveau Comité permanent du parti, organe tout-puissant, qui détient la réalité du pouvoir en Chine.
Dirigé par son secrétaire général, Xi Jinping, le Comité est désormais exclusivement composé de proches alliés de Xi. A priori, Li Qiang, chef du parti à Shanghai, devrait être le prochain Premier ministre, en dépit d’une gestion chaotique du confinement au printemps. Il succèderait alors à Li Keqiang qui prendra sa retraite.
« Des hommes de Xi »
Désormais tenu par les plus proches alliés de Xi, le nouveau Comité permanent confirme la mainmise de Xi Jinping sur la formation politique, selon des analystes. « Ce sont tous des hommes de Xi, cela montre qu’il veut gouverner au-delà d’un troisième mandat », donc après 2027, souligne Alfred Wu Muluan, expert en politique chinoise à l’Université nationale de Singapour. Willy Lam, spécialiste du PCC à l’Université chinoise de Hong Kong, pronostiquait « une domination anormalement asymétrique d’une seule faction: celle de Xi Jinping« .
Le cénacle de sept hommes qui détient le pouvoir en Chine
Voici la composition de la nouvelle équipe à la tête du régime pour les cinq prochaines années, dans l’ordre protocolaire. Habituellement le numéro deux ou trois est appelé à devenir Premier ministre.
Xi Jinping : Au pouvoir depuis 2012, le leader de 69 ans a été reconduit sans encombre à son poste de secrétaire général du PCC, promettant à ses concitoyens l’édification d’un « pays socialiste moderne » malgré de possibles « tempêtes dangereuses » en chemin. Ce nouveau mandat l’assure d’un troisième mandat présidentiel en mars prochain.
Li Qiang : L’actuel responsable du PCC de Shanghai, 63 ans, est considéré comme un allié de Xi Jinping. Mais son image a quelque peu été ternie au printemps lors du confinement chaotique de sa ville. Li Qiang et d’autres cadres seront malgré tout « probablement promus », anticipaient les analystes du cabinet SinoInsider, qualifiant la situation « d’ironique ». Si tel est le cas, « il faudra cesser de parler de méritocratie » au sein du Parti communiste, commentait cette semaine le sinologue Bill Bishop, dans sa lettre d’information sur la Chine.
Zhao Leji : Réputé proche de Xi Jinping, Zhao Leji, 65 ans, était à la tête de la Commission d’inspection disciplinaire, le gendarme du Parti chargé de piloter la vaste lutte anti-corruption. Il était auparavant chef du puissant « Département de l’organisation » du Parti, qui détermine les nominations des cadres.
Wang Huning : Il est l’un des rares membres du Comité permanent avec Ding Xuexiang à n’avoir jamais dirigé de ville ou de province. Ce francophile de 67 ans est considéré comme l’idéologue du PCC. C’est à lui que l’on attribue la paternité du « rêve chinois », slogan phare de Xi Jinping. Natif de Shanghai, M. Wang est réputé proche du réseau de l’influent ancien président Jiang Zemin (1993-2003).
Cai Qi : L’actuel patron du parti à Pékin travaille de longue date avec Xi Jinping. Il était déjà sous ses ordres quand M. Xi était en poste dans les provinces côtières du Fujian et du Zhejiang entre 1999 et 2007. Cai Qi, 66 ans, a rejoint la capitale chinoise en 2014 pour prendre en charge des questions de sécurité. Il a supervisé les Jeux olympiques d’hiver de Pékin en début d’année.
Ding Xuexiang : A 60 ans, le discret secrétaire particulier de Xi Jinping peut se targuer d’être l’un des plus proches conseillers du président chinois. Il se trouvait déjà dans son équipe lorsque M. Xi était patron du PCC à Shanghai (2007). Depuis 2017, Ding Xuexiang est membre du comité central du PCC, ce « parlement » interne au parti qui compte environ 200 membres. Son visage apparaît régulièrement en arrière-plan dans les médias d’Etat, jamais loin de son patron.
Li Xi : Li Xi, 66 ans, connaît le président chinois depuis les années 1980. Il travaillait à l’époque comme secrétaire d’un proche allié du père de Xi Jinping, compagnon de lutte de Mao. Li Xi est le chef du parti de la riche province manufacturière du Guangdong (sud), limitrophe de Hong Kong.
Loin de son apparence homogène, le PCC est divisé en interne et plusieurs courants rivaux cohabitent, estiment des sinologues. Jusqu’à présent, des compromis existaient pour la répartition des postes dont Xi Jinping est un illustre exemple. A défaut de s’entendre sur leur candidat respectif, les différentes factions du PCC avaient finalement placé au pouvoir un candidat de consensus en 2012. Mais Xi Jinping avait ensuite surpris tout le monde en éliminant ses rivaux pour concentrer peu à peu tous les pouvoirs à la tête du parti et de la Chine, tout en menant une répression sévère contre toute dissidence.
Xi plonge la Chine et le monde dans l’inconnu
Ce troisième mandat marque aussi une rupture, car depuis la mort du fondateur du régime Mao Tsé-toung (1949-1976), la transition du pouvoir en Chine était institutionnalisée: le président ne pouvait rester au pouvoir que pour deux mandats et pour une durée maximale de dix ans. En 2018, Xi Jinping a obtenu une modification de la Constitution et fait supprimer ces restrictions. Agé de 69 ans, il peut donc en théorie présider à vie la République populaire.
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« La reconduction de Xi Jinping est le fruit d’une extrême concentration de son pouvoir personnel », souligne à l’AFP un politologue chinois, sous couvert d’anonymat compte tenu de la sensibilité du sujet. Et il ne fait « aucun doute » que M. Xi cherche désormais à se maintenir au pouvoir à vie. Cette décision est « catastrophique pour la Chine » et nuit au Parti communiste, estime cet intellectuel, car elle annonce selon lui « le déclin et la stagnation » de la deuxième économie mondiale.
Ralentissement économique
A l’aube d’un troisième mandat de l’homme fort de Pékin, tous les regards se portent sur l’économie du géant asiatique. Après des décennies de croissance effrénée, le pays fait désormais face à un net ralentissement, accentué par une politique « zéro Covid » inflexible qui entraîne des confinements à répétition. Cette semaine, à la surprise générale, la Chine a d’ailleurs reporté sans explication la publication des chiffres trimestriels de la croissance. Si Xi Jinping a, ces dernières années, mis l’accent sur la consommation et la demande intérieure pour développer l’économie, le maintien des restrictions sanitaires en Chine met à mal cette stratégie. « Compte tenu de l’ampleur des restrictions, il est peu probable que la consommation retrouve son niveau pré-Covid », estime l’économiste Dan Wang, de la banque chinoise Hang Seng. Les secteurs du tourisme, des transports et de la restauration sont ainsi particulièrement pénalisés. La conjoncture a également plombé le jadis lucratif secteur immobilier, où nombre de promoteurs se battent pour leur survie. Ce secteur représente avec celui de la construction le quart du produit intérieur brut de la Chine. Et il constitue une importante source de revenus pour les gouvernements locaux. L’immobilier était déjà pénalisé par une réglementation qui durcit depuis 2020 l’accès au crédit pour les promoteurs, afin de lutter contre l’endettement.
« Erreur de calcul »
Ces difficultés surviennent au moment où les relations entre la Chine et les puissances occidentales se tendent. Reprise en main à Hong Kong, sort de la minorité ouïghoure au Xinjiang (nord-ouest), rivalité technologique avec les Etats-Unis, guerre en Ukraine… les différends ne manquent pas. Le monde « subit des changements inédits depuis un siècle », a martelé Xi Jinping à l’ouverture du congrès du PCC. Le thème de la « sécurité nationale » y a largement surpassé tous les autres, ont relevé des sinologues. Le Parti communiste a par ailleurs inscrit pour la première fois dans sa charte une mention sur sa « ferme opposition » à l’indépendance de Taïwan. Pékin considère l’île de 23 millions d’habitants comme partie intégrante de son territoire, bien que Taïwan dispose depuis plus de 70 ans d’un gouvernement propre. Les tensions autour de l’île se sont nettement accentuées avec les Etats-Unis depuis la visite en août de la numéro trois américaine, Nancy Pelosi. Y voyant une atteinte à sa souveraineté, Pékin avait alors organisé dans la foulée ses plus larges exercices militaires. La reconduction de Xi Jinping « peut être un élément (…) qui augmente le risque de conflit armé », estime Dan Macklin, analyste établi à Shanghai. En cas de ralentissement économique prolongé, le Parti communiste pourrait intensifier sa pression sur Taïwan pour renforcer sa légitimité, explique-t-il à l’AFP. Car le PCC tire actuellement sa principale légitimité de l’augmentation du pouvoir d’achat de la population, qui risque d’être mise à mal. Un Xi Jinping vieillissant, entouré d’une équipe à sa solde, augmente par ailleurs « le risque d’erreur de calcul » dans les décisions, prévient l’analyste.
L’incident Hu Jintao
En obtenant un troisième mandat comme secrétaire général du parti, Xi Jinping s’assure un troisième mandat présidentiel en mars prochain. Pour se maintenir au pouvoir, il a fait amender en 2018 la Constitution qui limitait ce poste à deux mandats et à une durée totale de 10 ans.
En clôture de son congrès, le PCC a réaffirmé samedi le « rôle central » de Xi Jinping. Seul incident marquant durant une cérémonie très chorégraphiée, l’ancien président Hu Jintao a été escorté vers la sortie samedi, ont constaté des journalistes de l’AFP. Visiblement contre son gré, l’homme de 79 ans, qui a présidé la Chine de 2003 à 2013, a été incité par des employés à se lever de son siège, situé à côté de Xi Jinping. Cette scène très inhabituelle n’a pas été expliquée par les autorités, qui n’ont donné aucune suite aux sollicitations de l’AFP.
L’agence Chine nouvelle a affirmé en anglais que Hu Jintao « ne se sentait pas bien« . Il va « beaucoup mieux » désormais, a-t-elle écrit sur Twitter, réseau social bloqué en Chine. Hu Jintao, qui a paru affaibli physiquement durant le congrès, est le prédécesseur de Xi Jinping et est considéré comme un réformateur. Toute référence récente à son nom semblait avoir été censurée de l’internet chinois.