Chine-Hong Kong: le gouvernement par la peur (entretien)
Pékin n’a pas tardé à appliquer la loi de sécurité nationale à l’encontre des militants prodémocratie à Hong Kong. Xi Jinping use de la même arme de la menace pour remettre au pas les cadres du Parti. Au nom d’un renouveau communiste.
La loi sur la sécurité nationale censée lutter contre la subversion, la sécession, le terrorisme et la collusion avec les forces étrangères à Hong Kong, territoire qui devait bénéficier d’un statut spécial jusqu’en 2047 en vertu de l’accord de rétro- cession signé entre la Chine et le Royaume Uni, est entrée en vigueur le 1er juillet. A ceux qui avaient encore un doute sur son application effective, Pékin n’a pas tardé à répondre. Arrestations de manifestants pro- démocratie, censure de livres » subversifs « , traque des appels à la défense du modèle hongkongais, la machine répressive s’est mise en branle, visant une normalisation pure et simple. Pourquoi le pouvoir chinois agit-il maintenant ? Selon Alice Ekman, responsable de l’Asie à l’Institut des études de sécurité de l’Union européenne (Euiss) et auteure de l’ouvrage Rouge vif (1) que tout dirigeant occidental devrait lire pour se rendre compte de la réalité chinoise, l’intervention à Hong Kong s’inscrit dans le mouvement de restauration des valeurs communistes imposé par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir en 2013.
La Chine souhaite promouvoir son système de gouvernance à l’étranger.
Comment Xi Jinping a-t-il procédé à un recentrage sur les principes communistes depuis le début de son mandat ?
Dès son arrivée au pouvoir, il a lancé une campagne dite » anticorruption « , une démarche assez traditionnelle en début de mandat présidentiel en République populaire de Chine. Mais celle-ci a été particulièrement stricte et longue, puisqu’elle est toujours en cours. Elle opère à tous les niveaux, touche » autant les tigres que les mouches « , selon Xi Jinping. Cela s’est traduit concrètement par un renforcement du contrôle des méthodes de travail et des dépenses des cadres du Parti communiste et des fonctionnaires, par des séances de critiques et d’autocritiques entre collègues, par la diffusion et l’apprentissage scolaire, noté, des discours Xi Jinping. Il prône un Parti fort, un renouveau idéologique, avec des références très claires, dans ses discours, au marxisme. Au-delà de la campagne anticorruption, le président chinois a lancé une série d’opérations de recadrage politique et idéologique sous la houlette de la Commission centrale d’inspection de la discipline (CCDI). Ces opérations font très peur aux cadres du Parti et aux fonctionnaires, qui craignent d’être dénoncés par leurs collègues, placés sous enquête, punis d’une manière ou d’une autre – selon les chiffres officiels, plus de deux millions de fonctionnaires ont été sanctionnés depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. La peur s’est instaurée largement. Elle est observable, manifestement plus forte que sous l’ère de Hu Jintao (NDLR : président de 2003 à 2013). Résultat : les cadres du PCC parlent peu, suivent toujours la ligne officielle, prennent peu d’initiatives.
Par rapport à la réforme économique promue à partir de 1978 par Deng Xiaoping, alors homme fort du régime, assiste-t-on à un raidissement sur les principes fondamentaux du communisme ?
A maints égards, le système politique chinois est hybride et paradoxal. Il a connu des mouvements de fermeture et d’autres d’ouverture limitée. Il faut relativiser les réformes sous Deng Xiaoping. Certes, une ouverture progressive et contrôlée a été opérée, mais la République populaire de Chine n’a jamais été une économie de marché pleine et entière. A l’époque de Deng Xiaoping, elle s’était inspirée, dans une certaine mesure, de systèmes économiques différents, plus libéraux, pour sortir de la pauvreté de l’ère Mao. Mais aujourd’hui, pour Xi Jinping, il est temps de revenir aux fondamentaux du socialisme. Ces dernières années, il a conforté le pouvoir des cellules du Parti dans les entreprises publiques comme privées, renforcé la planification de l’économie (plans quinquennaux mais pas seulement), le poids des entreprises d’Etat dans l’économie du pays demeure très fort… Pour Xi Jinping, il semblerait que l’ère de Deng Xiaoping n’était finalement qu’un détour par le capitalisme pour mieux revenir, maintenant que la Chine en a les moyens, à la » juste voie » du socialisme, qui est lui-même une étape vers l' » idéal » communiste.
Quel impact ce recadrage idéologique a-t-il sur la politique extérieure de la Chine ?
Le durcissement de la politique intérieure entraîne un durcissement de la politique extérieure en matière de méthode, de style, mais aussi d’ambitions. Concrètement, la Chine souhaite promouvoir son système de gouvernance à l’étranger. Elle le présente comme une solution pour le monde, appelant les pays en développement à s’en inspirer, notamment à travers les programmes de formation qu’elle offre aux hauts fonctionnaires étrangers, ou au renforcement des relations entre le Parti communiste et les partis politiques étrangers. Finalement, c’est bien le système politique et économique chinois qui est promu. Depuis Xi Jinping, la Chine est entrée dans une compétition particulièrement rude entre systèmes politiques. Avec la volonté pour Pékin d’affirmer que les » Occidentaux » n’ont plus à promouvoir leur modèle politique dans le monde, la démocratie, avec la volonté de riposter et de promouvoir le système jugé le plus légitime, celui que la Chine a développé sur son territoire, d’inspiration socialiste. Le régime estime que s’il n’est pas actif dans la compétition idéologique au niveau mondial, ce vide se transformera en menace pour lui. On assiste au renforcement de la dimension internationaliste de la politique étrangère chinoise. Pékin promeut le développement de ce que Xi Jinping appelle son » cercle d’amis » afin que ses positions soient soutenues par un maximum de pays, aujourd’hui sur Hong Kong, en octobre 2019 sur le Xinjiang… Même si les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, des pays européens s’élèvent contre les positions chinoises, la Chine espère pouvoir marginaliser à terme ces voix critiques et les rendre minoritaires. De fait, la Chine n’est pas si isolée au niveau international. Elle s’est rapprochée de la Russie, peut compter sur de nombreux soutiens au sein des Nations unies, est la deuxième puissance économique mondiale avec une capacité d’attraction économique et d’investissements qui peut se convertir en influence politique. Ces tensions diplomatiques entre la Chine et certains Etats démocratiques vont peser sur un nombre croissant d’individus et d’entreprises étrangers présents dans le pays ou travaillant avec la Chine.
La loi de sécurité nationale adoptée à propos de Hong Kong traduit-elle la volonté de Pékin de mettre fin au principe » un Etat, deux systèmes » ?
Oui, mais pas du jour au lendemain. Cela fait partie d’une trajectoire de long terme engagée par Pékin. Il est vrai cependant que cette loi de sécurité nationale marque un tournant de par son étendue, la rapidité de sa mise en application, et par le fait que s’agrègent à elle des initiatives antérieures qui vont dans le même sens, tel que l’amendement de la loi d’extradition en 2019. Je pense réellement que la situation politique à Hong Kong ne va pas se calmer vu la détermination de Pékin. Il existe une réelle divergence de culture politique entre la liberté en vigueur à Hong Kong et un Parti communiste dur qui a du mal à imaginer ce qu’est l’Etat de droit. Mais ce dernier est prêt à payer le prix économique d’une harmonisation du territoire. La défense de ses intérêts politiques est plus importante. Dans la hiérarchie chinoise, Hong Kong et Taïwan figurent dans les priorités des priorités. Ces deux territoires représentent des enjeux qui font partie intégrante du renouveau chinois et qui requièrent donc d’agir. Le calendrier envisagé pour Taïwan est moins clair. Mais la détermination politique de Pékin pour mener la » réunification » est forte. Un renforcement des tensions internationales autour de ces deux enjeux est à prévoir. Le monde pourrait s’en trouver davantage polarisé, avec une Chine de plus en plus clivante et des pays se positionnant pour ou contre Pékin.
Pour la Chine, la défense de ses intérêts politiques est plus importante que l’économie.
La Chine est-elle prête à entrer dans une épreuve de force avec les pays occidentaux qui mettrait en péril son économie ?
Certes, l’économie chinoise reste tournée vers l’exportation, et sa croissance dépend en partie de la demande extérieure, y compris européenne. Mais certains enjeux, politiques, sont prioritaires pour Pékin. Et il ne faut pas oublier que la Chine a désormais un marché domestique important, même si encore en cours de consolidation. Pour ce qui concerne les nouvelles technologies, par exemple, il existe une réelle demande sur son territoire, qui lui permet d’atténuer en partie l’impact des tensions commerciales et techno- logiques avec les Etats-Unis. Et la Chine essaie aussi de s’adresser à d’autres marchés, notamment les pays émergents et en développement. Elle cherche à ne plus être dépendante des composants, produits et services américains et, de manière générale, étrangers.
La forte personnification autour de Xi Jinping n’est-elle pas aussi un danger ?
Cette personnification exaspère sans aucun doute un nombre significatif de cadres du parti, notamment ceux, nombreux, qui subissent les conséquences de ce culte de la personnalité dans leur vie quotidienne (apprentissage par coeur des paroles de Xi, participation à des programme de recadrage idéologique, etc.). Après, dans le contexte de peur actuel, l’expression d’un ressentiment à l’égard de Xi Jinping est très risquée. Cette exaspération ne s’est pas convertie concrètement en actions visibles de contestation de la gestion de Xi Jinping. Elles pourraient survenir. Mais je ne formulerais pas cette hypothèse parce que le Parti communiste chinois est aujourd’hui très tenu, et s’appuie sur des moyens de surveillance humains et technologiques puissants à tous les échelons de la société.
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