Thierry Bellefroid
« Cher Georges Orwell, votre Big Brother, c’est gentillet par rapport à Google, Amazon et Cie »
Disons-le d’emblée : à côté de vous, Nostradamus passe pour un fumiste. Certes, il partait de plus loin pour prédire notre époque. D’où les risques d’imprécisions.
Mais surtout, il a bien noyé le poisson dans un jargon où le lard passe pour du cochon et le cochon pour de la vache halal ! Vous, vous aviez à peu près tout prévu, tout vu. Sérieux ! Le coup de » Big brother is watching you « , c’était plutôt balèze, George.
1984, c’est l’histoire d’un citoyen sans histoire, Winston Smith, qui dévie peu à peu de la ligne officielle lorsqu’il se rend compte qu’il est incapable de gommer ce qui, dans le passé, entre en contradiction avec les objectifs de son employeur, le ministère de la Vérité. Aujourd’hui, ce pourrait être un des ces Catalans qui refusent la novlangue des indépendantistes. Ou l’inverse. De toute façon, en Catalogne, c’est comme dans votre livre, on ne sait plus où est la vérité. Ce n’est pas qu’on ne croit plus en l’Europe, Georginet, c’est juste qu’on n’en a plus rien à foutre. De nos jours, c’est chacun sa gueule. Si ton voisin est pauvre, fais en sorte que son bout de rue appartienne à une autre commune que celle où tu paies tes impôts ! Mais revenons à ce brave Winston, qui va découvrir l’amour, la clandestinité puis l’arrestation et la rééducation pour avoir été dénoncé par un logiciel espion avant la lettre, le télécran, une sorte de SmartTV qui vous filme plus que vous la regardez. Tout ça, ça nous parle, mon cher George, nous qui confions nos mots de passe à des trousseaux virtuels et les photos de nos amours à des clouds qui font la pluie et le beau temps sur le plus ou moins Net.
Déjà, en 1945, avec La Ferme des animaux, vous aviez écrit le livre de la rébellion contre un pouvoir totalitaire. Bien sûr, en bon anticommuniste britannique, vous visiez Staline. Mais, comme vous alliez le refaire cinq ans plus tard dans 1984, vous vouliez surtout attirer notre attention sur un monde dont vous pressentiez les futures mutations.
Bon, on pourra toujours dire que vous vous étiez lourdement trompé. L’Etat n’observe pas nos faits et gestes, mon George en sucre d’orge, ah la la, non, quelle erreur ! C’est Facebook qui s’en charge. Et Google. Et Amazon. Vous trouvez que je chipote ? Oui, peut-être un peu. C’est vrai que Big Brother a juste changé de nom. Quand je vois que le livreur d’Amazon pourra bientôt faire en notre absence un pas – un seul ! – à l’intérieur de notre maison sous l’oeil d’un Big Brother » amazonien « , je me demande si je rêve.
J’apprends par ailleurs que, demain, vos compatriotes pourront accueillir, s’ils le souhaitent, les patients de longue durée qui encombrent les hôpitaux. Et tant pis s’ils n’y connaissent rien en médecine ! Où est-ce qu’il est dit qu’il faut s’y connaître en quelque chose pour faire de l’argent ? On balancera des tutos sur YouTube ; vivement le livreur de pizzas chirurgien ! De toute façon, le seul boulot du propriétaire de cet Airbnb de la santé, ce sera d’amener à manger au patient. Le reste sera comme toujours confié à Big Brother : on filmera le malade et on lui administrera les conseils à distance…
Dites, George, vous n’avez pas l’impression que votre livre, là, c’était quand même un peu gentillet par rapport à la réalité ?
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