Charles III : une entrée en douceur
Le nouveau roi inscrit ses pas dans ceux de sa mère. Il n’a pas vraiment le choix. La Première ministre Liz Truss marche sur des œufs. Tous les deux sont portés par la communion nationale. Attention aux lendemains qui déchantent.
La transition est «un moment crucial pour le roi. Je suis sûr qu’il y a mûrement réfléchi: dans notre démocratie constitutionnelle, il ne faut pas franchir la ligne de la neutralité, c’est une des conditions de la survie de la monarchie». L’ avertissement lancé par l’historien Anthony Seldon sur la chaîne Sky News au lendemain de la disparition de la reine Elizabeth II semble avoir été entendu. Les paroles et les gestes de Charles III depuis le 8 septembre furent empreints de sobriété et de retenue. Cette inclination est-elle promise à s’inscrire dans le temps long et celui des épreuves? Tentative de réponse avec Georgina Wright, directrice du programme Europe à l’Institut Montaigne, et Philippe Chassaigne, professeur d’histoire contemporaine à l’université Bordeaux Montaigne.
Liz Truss ne pourra pas se contenter de ce seul moment de solidarité pour asseoir son pouvoir.» Georgina Wright, directrice du programme Europe à l’Institut Montaigne.
L’ avènement de Charles III pourrait-il susciter davantage le débat sur le coût ou l’utilité de la monarchie qu’il ne l’a été sous la figure très populaire d’Elizabeth II?
Georgina Wright: C’est la question que tout le monde se pose. Même les Britanniques qui n’étaient pas très favorables à la monarchie aimaient la reine parce qu’elle inspirait le respect, avait le sens du devoir et était une femme remarquable. Ceux qui souhaitaient une république ont pu considérer qu’avec cette reine, le moment n’était pas opportun pour pousser leur revendication. L’ avenir nous dira ce qu’il en sera avec Charles III. En tout cas, j’ai été positivement surprise par l’accueil qui lui a été réservé depuis le décès de sa mère, lors de ses apparitions publiques. Il est aussi intéressant de noter que dans son premier discours comme souverain, il a évoqué l’aspect multi- culturel de la société britannique.
Philippe Chassaigne: Jusqu’à présent, on avait des sondages portant sur la popularité du prince de Galles, moins grande, il est vrai, que celle de la reine Elizabeth II. Mais quand on passe de prince de Galles à roi, aucun sondage précédent n’est plus pertinent. Charles a changé de statut et il existe un pacte légitimiste qui fait que le nouveau souverain suscitera l’adhésion de personnes qui n’étaient pas forcément très enthousiastes à son sujet lorsqu’il était prince de Galles.
Vu ses engagements antérieurs, Charles III usera-t-il davantage de son pouvoir d’influence sur la Première ministre, par exemple?
G.W.: Un post Instagram diffusé le 12 septembre sur le compte de la famille royale rappelle que le roi est là pour conseiller mais surtout pour soutenir le gouvernement. Le monarque est politiquement neutre. Certes, il rencontre la Première ministre une fois par semaine. Mais principalement pour être mis au courant des dernières actualités et la conseiller si elle le lui demande. Il n’ a pas de pouvoir politique en tant que tel. C’est le premier élément de réponse. Et puis, Charles, en tant que prince, avait des causes qui lui importaient beaucoup, notamment l’écologie. Mais il a rappelé dans son premier discours qu’il serait un roi pour tous et qu’il resterait en retrait. Donc la réponse à votre question est «non».
Lire aussi | Charles III entre tradition et modernité
Ph.C.: Le contenu des audiences hebdomadaires avec le souverain reste totalement secret. On ne sait pas ce qu’Elizabeth II a pu dire de particulier aux Premiers ministres avec lesquels elle a eu des contacts. Depuis Victoria (NDLR: reine du Royaume-Uni de 1837 à 1901), c’est la même règle. Le souverain dit ce qui lui paraît être important et le Premier ministre en tient compte ou pas. On sait que Charles, quand il était prince, a envoyé des lettres à différents ministres pour exprimer son point de vue. La reine Victoria faisait la même chose. Le Premier ministre peut soit parcourir le courrier d’un œil distrait et le jeter à la poubelle, soit le lire de façon plus attentive et accéder à certaines demandes, comme le faisait Benjamin Disraeli (NDLR: Premier ministre britannique de 1874 à 1880) avec la reine Victoria, pourvu qu’elle le laissait mener la politique qui lui importait dans les domaines intérieur et extérieur. Charles ne cachait pas ses opinions lorsqu’il était prince de Galles. Mais celui-ci a toujours une liberté d’expression plus grande. Charles n’est plus un perdreau de l’année. Il a bien compris que, devenu roi, il devra respecter le devoir de réserve qui est le b.a.-ba de tout monarque au Royaume-Uni.
Ce changement sur le trône, est-ce un avantage ou un inconvénient pour la Première ministre Liz Truss, elle aussi novice?
G.W.: Elue à la tête du Parti conservateur et nommée Première ministre en pleine crise énergétique et sociale et confrontée immédiatement au décès de la reine, elle n’a pas vécu une première semaine facile. C’est clair. Mais cette période pourrait constituer un point «positif» parce que dominent dans le pays le sentiment de la peine partagée, la solidarité et l’unité. Cela pourrait l’aider dans un premier temps. Mais après les dix jours de deuil, des décisions très difficiles devront être prises, notamment sur la manière de répondre aux demandes formulées lors des mouvements de grève qui ont été suspendus. Elle ne pourra pas se contenter de ce seul moment de solidarité pour asseoir son pouvoir.
J’ai du mal à imaginer Charles idéologiquement proche du Parti conservateur.» Philippe Chassaigne, professeur d’histoire contemporaine à l’université Bordeaux Montaigne.
Ph.C.: Le fait que tous les deux entament leur nouvelle fonction peut aider à construire une relation. Cela étant, Charles a une certaine assurance de la continuité. La prochaine échéance pour lui, c’est la grande faucheuse. Liz Truss, elle, ne sait pas combien de temps elle restera Première ministre. Elle peut être renversée par son propre camp, le Parti conservateur. Elle peut perdre les prochaines élections, ce qui n’est pas exclu compte tenu de la situation de la Grande-Bretagne. En attendant, il faut que chacun travaille avec l’autre. J’ai du mal à imaginer Charles idéologiquement proche du Parti conservateur. Vu son engagement écologique, on le voit plutôt dans un autre camp, mais pas du côté travailliste non plus. Son influence auprès de la Première ministre pourrait être celle-là. Liz Truss n’a pas l’air passionnée par les questions climatiques. Mais s’il ne parvient pas à la convaincre du bien-fondé d’un engagement écologique, il a bien d’autres façons d’agir, du fait de ses actions caritatives. Il peut les poursuivre. Cela n’est en rien incompatible avec son statut de souverain.
Lire aussi | Charles III : le roi n’est pas adoubé partout
Les partisans de l’indépendance de l’Ecosse et les défenseurs de la réunification de l’Irlande du Nord avec la République d’Irlande pourraient-ils se saisir du changement sur le trône pour faire progresser leur revendication?
G.W. : Il est intéressant de noter que Nicola Sturgeon (NDLR: Première ministre d’Ecosse et cheffe du Parti national écossais) a chanté le God save the King le 11 septembre quand le cercueil de la reine est arrivé à Edimbourg. Lors de la campagne pour le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, le 18 septembre 2014, les nationalistes écossais souhaitaient garder le monarque en tant que chef d’Etat. L’ avenir de l’Ecosse n’est pas corrélé à la personnalité du souverain. Beaucoup d’Ecossais veulent un nouveau référendum. Pour ce faire, ils ont besoin de l’approbation du Parlement britannique. Or, le Parti conservateur, qui y a une majorité, a indiqué qu’il ne leur donnerait pas ce feu vert. L’ organisation d’un nouveau référendum est encore loin. Mais il ne tient pas au changement de monarque. Il dépendra davantage du résultat des élections législatives en 2024. A cette occasion, on pourrait assister à des discussions entre le Parti national écossais et le Parti travailliste en vue de la constitution d’une majorité et de la formation d’une coalition, en contrepartie d’un accord sur la tenue d’un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. Mais pendant deux ans, la question restera en suspens. J’aurais la même réponse à propos d’une réunification de l’Irlande du Nord avec la République d’Irlande. C’est trop tôt. Certes, Charles III doit encore prouver qu’il est capable de maintenir le pays uni. Mais ces questions ne sont pas seulement liées à la royauté.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici