«Ceux qui n’ont pas vécu 44 ans de hijab obligatoire ne peuvent pas comprendre»
Des autrices de la diaspora confient, une fois leur vie libérée des contraintes, ce que l’arbitraire religieux fait subir aux Iraniennes.
La diaspora prend une part très active à la contestation du régime iranien depuis le meurtre de Mahsa Amini. Un an après son meurtre, un recueil de nouvelles intitulé Femme, rêve, liberté (1) rapporte le ressenti de douze autrices résidant en Europe et aux Etats-Unis sur la révolte des femmes. Il met en évidence le poids de l’emprise religieuse sur le corps féminin depuis la révolution islamique de 1979. «Un corps féminin contraint à des règles strictes, marqué par le “fer rouge” du hijab, blessé par les balles des forces de l’ordre, meurtri sous les coups d’un mari, ou encore victime de la vengeance féroce d’un père», résume en introduction Sorour Kasmaï.
Dans la nouvelle intitulée Code contrôle, Nasim Marashi détaille toutes les conséquences délétères, certaines inconscientes, qu’implique le port du hijab pour la femme en Iran. Un état de soumission: «Quand, toute ta vie, tu as autorisé les gens de la rue à te dire de couvrir un peu plus tes cheveux et que, en raison de cette autorisation accordée a priori, tu as réajusté ton foulard et baissé la tête en raidissant ton cou pour que le foulard ne glisse plus, il t’est difficile de t’y opposer fermement dans un autre contexte et de dire: je suis votre égale.»
Porter le hijab: l’impact de l’arbitraire religieux sur les femmes iraniennes
La crainte de la violence: «Une abonnée (NDLR: à son compte d’un réseau social) m’a raconté que, quand elle marchait dans les rues en Norvège, elle levait sans cesse la main pour réajuster le foulard qu’elle ne portait pas. Elle disait qu’elle voyait soudain le visage de son père à la place de celui d’un Norvégien croisé par hasard, il l’attrapait et la rouait de coups en lui demandant où était passé son foulard. Ce cauchemar ne la laissait pas en paix.» Un impact aussi sur l’identité des femmes: «Ils ont fait de nous des êtres qui ont tellement menti, tellement vécu dans le mensonge, que c’est à grand-peine que nous pouvons encore nous souvenir de ce que nous sommes.»
«Ceux qui n’ont pas vécu 44 ans de hijab obligatoire ne peuvent pas comprendre, fait dire à une des protagonistes de sa nouvelle, Un après-midi à Téhéran, l’autrice exilée en Suède Azar Mahloujian. Mon rêve s’est réalisé le jour où je me suis retrouvée avec mes amies dans un café. Nous avons bu un verre, tête nue.» Ceci explique la spectaculaire réaction des femmes à 44 ans d’arbitraire religieux après le crime de trop, celui qui a conduit à la mort de Mahsa Amini. Mais au nom des Iraniennes de la diaspora, Bahiyyih Nakhjavani, dans Trois raisons, se demande si «notre colère maintiendra notre unité suffisamment longtemps pour apporter une aide constructive à nos compatriotes en Iran».
Dans un autre ouvrage, Quitter Téhéran (2), récit d’une séparation familiale douloureuse entre l’Iran et la France à l’origine d’une sévère dépression, Naïri Nahapétian dit toujours croire que le changement est inévitable en Iran et qu’il passera par une révolution. «Depuis septembre 2022, il n’est plus possible de dédiaboliser ce régime et de négocier avec lui, tant il révèle, avec la répression en cours, son caractère meurtrier.»
(1) Femme, rêve, liberté. Douze histoires inédites, sous la direction de Sorour Kasmaï, Actes Sud, 192 p.
(2) Quitter Téhéran, par Naïri Nahapétian, Bayard récits, 208 p.
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