François De Smet
C’est le moment de…(re)voir « The Truman Show »
En 1998, Jim Carrey casse son image de comique burlesque en endossant le rôle de Truman, petit employé sans envergure d’une petite ville côtière sans relief. Evoluant sur un parterre de couleurs vives et lumineuses sorti tout droit d’un village Playmobil, le personnage de Truman est le seul à ne pas réaliser que tout ce qui l’entoure n’est qu’un décor de cinéma créé entièrement pour lui.
Héros malgré lui d’un show de téléréalité depuis sa naissance, il ne peut se douter que toutes les personnes qu’il connaît ne sont que des acteurs chargés de lui donner la réplique selon un scénario écrit et pesé par le mégalomane réalisateur de l’émission, incarné par l’inquiétant Ed Harris.
Le show est d’autant plus prenant que Truman, inconsciemment puis avec soupçon, fait tout pour échapper au cadre. Son personnage ne cesse de vouloir partir, de voir le monde, d’échapper à l’ennui de l’existence qui l’enserre et dans laquelle il végète depuis si longtemps. The Truman Show, film drôle et dérangeant de Peter Weir, pose d’une manière habile la question de la liberté humaine, du conformisme nous faisant accepter a priori comme vrai ce qui nous est dit, et de la superposition de plusieurs réalités.
Ce film était visionnaire sur deux plans. D’abord sur la confusion des genres, de plus en plus évidente, entre téléréalité et réalité tout court. Le XXIe siècle, jusqu’à présent, est le siècle des écrans. Des vies par procuration. Des mondes parallèles où chacun peut se mettre en scène derrière un pseudo, depuis l’univers ludique fantastique du jeu vidéo le plus innocent jusqu’aux tréfonds du darknet le plus sombre. La téléréalité est devenue la locomotive de la télévision, selon un schéma de voyeurisme qui, par la grâce de l’habitude, ne nous choque même plus. La libération du Big Brother en chacun de nous conditionne à porter le regard sur les petites turpitudes, mesquineries et trahisons de ceux de nos contemporains qui ont suffisamment besoin de lumière pour accepter de s’humilier devant des millions de spectateurs parce qu’ils ne parviennent pas à allumer un feu sur une île déserte ou à réussir une béchamel en tablier blanc. Nous sommes devenus voyeurs et moqueurs par divertissement.
The Truman Show est ensuite une leçon sur la réalité alternative. Dans les années 1990, les seuls qui avaient sérieusement envisagé Donald Trump à la Maison-Blanche étaient les créateurs des Simpson. Parce que dans leur univers absurde, un tel événement semblait cohérent. La réalité a rattrapé l’absurde. Le président des Etats-Unis est un ancien animateur de téléréalité qui a forgé l’essentiel de sa popularité en transformant l’élection présidentielle en un immense jeu télévisé fait de punchlines, de coups bas, de trahisons et de course à l’élimination. Dès lors, revoir Truman tout faire pour échapper à son destin permet de se souvenir que le plus surprenant est, par définition, toujours à venir… et d’y trouver, sinon consolation, à tout le moins inspiration. Au fond, aucun de nous n’est totalement à l’abri d’une chute de projecteur qui nous révélerait que tout ce qui nous entoure n’est qu’un immense plateau de cinéma fabriqué juste pour observer notre réaction face à l’imprévu.
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