David Engels
C’est le moment de… (re)lire Nietzsche
Nietzsche ! Voilà un nom qui résonne, aujourd’hui comme il y a un siècle. Et pourtant, qui pourrait encore se targuer d’avoir vraiment lu les oeuvres de ce penseur tragique ?
Jadis, le Gai Savoir ou le Zarathoustra étaient, comme tant d’autres textes, des passages obligés entre adolescence et âge adulte. Aujourd’hui, Nietzsche a été, un peu comme Che Guevara ou Martin Luther King, transformé en icône de la pop culture avec, pour conséquence lamentable, que sa présence sur les tee-shirts ait remplacé celle, beaucoup plus importante, de ses livres sur les étagères. Et pourtant, Nietzsche a beaucoup à nous apprendre, ou plutôt : à nouveau.
Car au fond, ce xixe siècle qui nous paraît déjà si lointain, avec ses interdits et tabous aussi nombreux que ses convictions et espoirs, n’est pas si différent de notre xxie siècle, et la lutte de plus en plus implacable que voua Nietzsche aux » idoles » creuses de son époque peut paraître d’une actualité surprenante car, par un renversement surprenant des choses – Hegel parlerait de la » ruse de l’esprit » -, l’âge de l’interdit est de retour, bien que sous la forme du » politiquement correct « . Mais la véritable grandeur de Nietzsche ne résida pas dans sa critique acerbe de la société victorienne et de ses nombreuses hypocrisies ; c’est la découverte du surhomme, ce concept si souvent repris et pourtant si mal compris, qui fut sa création authentique. L’homme libre et créateur, ne devant ses comptes qu’à son propre génie, pleinement conscient et responsable de ses actes – voilà comment Nietzsche se rêvait lui-même et rêvait son prochain, et le fait que les exemples les plus parfaits de surhomme qu’il cita furent Napoléon… et Goethe montre toute la complexité d’une notion recouvrant non seulement l’ultime expression de la soif du pouvoir, mais aussi de la civilité, de la modération et de l’humanisme.
Comme nous sommes loin de cet idéal, alors que nous croyons, à tort, l’avoir enfin réalisé ! La prétendue individualité de l’homme moderne cache si mal son collectivisme, sa liberté son obligation d’adhérer » librement » à une série interminable de convictions, son ouverture le rejet de sa propre identité, sa solidarité son égoïsme profond, et même sa quête d’autoréalisation son conformisme avec les diktats de l’économie d’un côté, et de la mode d’un autre…
Certes, voilà le dilemme de toute civilisation : restreindre par les conventions la force qui sommeille en chacun de nous afin d’éviter l’implosion. Et plus une civilisation est avancée, plus elle se doit de museler l’autonomie de l’individu. Pourtant, nous devrions être très loin de nous en féliciter : à force de payer les triomphes d’un capitalisme débridé avec le sacrifice de la véritable libre-pensée, nous risquons de devenir la proie idéale de ces fauves qui soit bafouent, soit manipulent nos conventions. En cette année 2017, marquée non seulement par le terrorisme de tout bord, mais aussi par le macronisme et, bientôt pour la 4e fois, le merkelisme, à bon entendeur : salut !
Friedrich Wilhelm Nietzsche, collection OEuvres philosophiques complètes, Gallimard, 1977-1997 (trad. de l’éd. Colli-Montinari, sous la responsabilité de Gilles Deleuze et Maurice de Gandillac).
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