François De Smet
C’est le moment de… (re)lire « La peste »
C’est en 1947 que paraît l’un des romans les emblématiques d’Albert Camus. La Peste raconte la chronique d’une ville en état de siège, sous le regard du docteur Rieux, qui comprend parmi les premiers la gravité de la situation.
C’est en 1947 que paraît l’un des romans les emblématiques d’Albert Camus. La Peste raconte la chronique d’une ville en état de siège, sous le regard du docteur Rieux, qui comprend parmi les premiers la gravité de la situation. Les réactions des hommes face à cet ennemi implacable constituent la véritable la trame du roman : surprise, incrédulité, lâcheté, fuite, résignation ou résistance, telles sont les déclinaisons des attitudes humaines, qui ne se révèlent jamais mieux que lorsque l’ordre normal des choses se trouve suspendu. On y a rapidement vu une allégorie de la montée des totalitarismes en Europe dans les années 1930 et 1940. Interprétation partielle mais correcte, comme le confirmera Camus lui-même : La Peste est bel et bien à inclure dans les travaux du romancier et philosophe français sur la résistance, thème qu’il développera surtout dans L‘Homme révolté.
Dans ces temps troublés, où l’élection surprise d’un président américain congratulé par le Ku Klux Klan promet fichage religieux et rétablissement de la torture, le recours au vocabulaire des années 1930 refleurit. Le besoin de trouver les justes mots pour qualifier les événements qui se déroulent est criant. Le qualificatif de » fasciste » est ainsi régulièrement accolé au nouveau président américain. Certes, le nez dans le guidon, nous n’avons pas toutes les clés pour saisir l’ampleur de ce qui se déroule – raison pour laquelle les commentateurs les plus prudents parleront d’un » saut dans l’inconnu « . Pourtant, certains rapprochements sont légitimes ; comment ne pas voir ressurgir l’image d’anciens leaders fantasques, que personne n’avait imaginés parvenir au pouvoir, faisant ses coeurs de cible de l’intelligentsia, des élites, des étrangers ? Comment ne pas se rappeler, surtout, que c’est le propre du fascisme de voir la représentation de la force et de la simplicité adulée par la masse ?
Car si le fascisme est à l’origine l’idéologie mussolinienne amalgamant totalitarisme, populisme et nationalisme, il se définit d’abord par ses méthodes, et non par le caractère régulièrement – mais non obligatoirement – funeste de ses fins. C’est le nom englobant de l’adoration de la force brute, libérée, se proposant de réduire l’univers à un » nous » à défendre contre un » eux « . Le talent du fascisme est précisément de parvenir à ce qu’une foule puisse aduler un représentant de l’élite avec une bonne conscience trempée dans la peur d’autrui. C’est ce qu’avait si bien saisi Bertolt Brecht lorsqu’il fait dire à son personnage Arturo Ui, alter ego d’Hitler : » L’important n’est pas ce que pense le professeur, tel ou tel gros malin, mais comment l’homme modeste se représente son maître. Basta. »
C’est pourquoi, comme la peste, le fascisme est une épidémie. C’est pourquoi il est permis – quitte à s’exposer au bonheur de voir les faits nous rassurer – de s’arrêter sur ces temps d’étrange flottement que nous vivons en relisant, précisément, Camus : » A partir de ce moment-là, il est possible de dire que la peste fut notre affaire à tous. Jusque-là, malgré la surprise et l’inquiétude que leur avaient apportées ces événements singuliers, chacun de nos concitoyens avait poursuivi ses occupations, comme il l’avait pu, à sa place ordinaire. Et sans doute, cela devait continuer. Mais une fois les portes fermées, ils s’aperçurent qu’ils étaient tous, et le narrateur lui-même, pris dans le même sac et qu’il fallait bien s’en arranger. »
La Peste, par Albert Camus, 1947, Poche, 352 p.
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