David Engels
C’est le moment de… (re)lire Karl Marx
« Hegel remarque quelque part que tous les grands faits et les grands personnages de l’histoire universelle adviennent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. »
En lisant ces lignes du 18 Brumaire de Louis Bonaparte, comment ne pas penser à la sinistre comédie mettant une seconde fois en scène, partout dans nos sociétés occidentales, l’affrontement entre libéralisme et autoritarisme, et qui, après le duel Clinton – Trump, a atteint, dans la lutte entre Macron et Le Pen, un nouveau sommet (ou plutôt : un nouveau fond) ? Sinistre comédie car, tout comme Marx l’a si bien démontré dans sa comparaison entre la révolution de 1789 et celle de 1848, si les paroles et les formes du débat sociétal semblent être restées les mêmes, le contenu ne l’est pas. Autant Louis Blanc n’était pas l’avatar de Robespierre (ni Napoléon III celui de Napoléon Ier), autant Trump ou Le Pen ne sont les réincarnations d’Hitler ou de Mussolini – ou Clinton et Macron celles de Roosevelt et du général de Gaulle, n’en déplaise à leurs supporters.
Bis repetita non placent, d’autant plus que les deux visions s’affrontant aujourd’hui ont amplement démontré leur incapacité à maintenir leurs promesses. Qui ignore encore que le prix à payer pour l’exaltation abusive de la nation et de l’autorité est l’exclusion, la tyrannie et la guerre, et qui ignore que l’ultralibéralisme ne peut mener qu’à la polarisation sociale, la déconstruction des traditions et l’émergence de régimes plutocratiques ? Même les partis concernés ne se le cachent plus : jamais encore les nationalistes et autoritaristes n’ont autant parlé de la défense commune de l’Europe et de leur adhésion à la démocratie de base, jamais les européistes et démocrates n’ont autant insisté sur la lutte contre les pensées déviantes et les plébiscites. Et pourtant, le jeu continue, les deux idéologies, graduellement vidées de leur élan initial, se parasitant et se (dé)légitimant mutuellement à souhait. Comment reprocher aux Européens leur désintérêt, voire leur désespoir grandissant face à un système politique de plus en plus décrédibilisé et structurellement incapable non seulement de résoudre, mais même de reconnaître les immenses problèmes sociétaux qui s’annoncent pour les prochaines décennies ?
Le 8 mai, les Français ont été confrontés à deux options également insupportables auxquelles tout l’Occident, en ce moment, fait face : s’éloigner, à bord d’un bateau prenant l’eau, un peu plus des côtes salutaires, ou tenter de se saborder par protestation. La France a choisi la première solution, et les conséquences seront lourdes, mais ne changeront pas fondamentalement la donne du problème : comment arriver à bon port ? Dès lors, la véritable bataille, celle dont nous sommes tous l’enjeu, n’est que partie remise, car elle ne prendra fin que quand nous aurons enfin repensé les règles du jeu. Jusque-là, la farce de l’histoire continuera – même si plus personne n’en rit…
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, par Karl Marx, traduction de Grégoire Chamayou, Flammarion, 2007.
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