Laurent de Sutter
C’est le moment de…(re)lire « Contre les élections »
Parmi les innombrables symptômes de la mort clinique de la démocratie parlementaire, l’inutilité devenue flagrante du système électoral est, avec la nullité de la quasi-totalité de la classe politique, le plus critique.
Si, pendant longtemps, la logique de l’élection avait pu se prévaloir d’une vertu pédagogique, par l’intégration de cercles de plus en plus importants de citoyens dans son jeu, cette vertu se trouve désormais épuisée. De l’élection, il ne reste plus que le spectacle plus ou moins fatigué, plus ou moins excité – une sorte de reality show morbide et prétentieux, où se succèdent des candidats lassant les spectateurs plus vite qu’un hit d’été. Il est entendu qu’en attendre autre chose tiendrait de la naïveté la plus totale ; après tout, voter pour untel ou pour untel, c’est d’abord voter pour le vote lui-même – c’est apporter son suffrage à un système avant une personne.
Pour qu’un résultat inattendu sorte d’une élection, il faudrait d’abord que ce qui la règle, ce qui la définit, et ce qui en constitue la raison d’être plus ou moins hypocrite, puisse faire l’objet d’une discussion – ce qui n’est pas le cas. Plutôt qu’une interrogation sur le bien-fondé des élections, les insatisfaits n’ont droit, s’ils sont sages, qu’à quelques variations de quorum ou de circonscription, dont les effets sur le processus général tiennent avant tout du placebo. Telle est la raison pour laquelle David Van Reybrouck a naguère ressuscité une proposition d’organisation politique que le triomphe du système électoral, à partir du XVIIIe siècle, avait laissé de côté : le tirage au sort. Dans Contre les élections, Van Reybrouck soutenait en effet que ce régime de désignation de ceux qui ont à s’occuper du bon fonctionnement de la cité pourrait recevoir une pertinence nouvelle dans un contexte d’épuisement électoral généralisé. Même si, du point de vue de l’histoire, tirer les dirigeants au sort ne s’est jamais vu que dans des sociétés très peu démocratiques, comme l’Athènes antique ou bien la Venise des Doges, cela n’implique pas qu’une acclimatation soit impossible. Du reste, ceux qui soutiendraient que nous vivrions dans des sociétés beaucoup plus démocratiques que celles-ci se mettraient le doigt dans l’oeil jusqu’au coude : nos démocraties ne le sont que jusqu’à un point très limité.
Qu’envisager une sortie du système électoral y fasse l’objet de ricanements entendus en apporte une preuve supplémentaire, dès lors que l’on sait que la logique du vote contribue à constituer un personnel politique se transformant vite en caste. A l’inverse, le tirage au sort, au moins en principe, rendrait nulle toute tentative de monopolisation des fonctions publiques par une classe professionnelle propre, ne travaillant en réalité qu’à sa propre conservation. Avec le tirage au sort, n’importe qui pourrait se retrouver propulsé à la tête de l’Etat ou de tel ministère, quel que soit son statut, sa profession ou sa richesse – car tout le monde est capable de diriger. L’axiome voulant que la politique puisse être l’affaire de tous est en effet la clé de voûte de la défense du tirage au sort comme système de choix – hypothèse sans laquelle rien de tout cela ne possède le moindre sens.
Il n’y a de politique possible que démocratique – une démocratie que postule le système du tirage au sort, et que rejette celui de l’élection. Sur ce point aussi, il est temps de choisir.
Contre les élections, par David Van Reybrouck, trad. Philippe Noble et Isabelle Rosselin, Actes Sud, 2014, 224 p.
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