François De Smet
C’est le moment de…(re)lire Churchill
Nous sommes en 1946. Winston Churchill n’est plus Premier ministre. Après avoir incarné la résistance aux puissances de l’Axe, après avoir gagné la Seconde Guerre mondiale en coalisant Américains et Russes, après avoir libéré l’Europe des nazis, il est renvoyé à ses études aux élections de 1945.
Les Britanniques, avec une certaine sagesse, ont considéré que l’immense chef de guerre qu’était Churchill ne ferait pas nécessairement un bon chef de gouvernement une fois la paix revenue – ce qui ne l’empêchera pas de redevenir Premier ministre en 1951.
L’homme consacra alors une grande partie de son temps libre à ses mémoires. Tel un chef de projet, c’est à la tête d’une gigantesque entreprise de compilation, de documentation et d’érudition que Churchill se lance pour la postérité, avec l’aide de collaborateurs. Au total, les mémoires de guerre comptent six volumes en version originale (The Second World War) couvrant une large période de la Première à la Seconde Guerre mondiale. Une oeuvre dense, précise qui fait plonger de l’intérieur dans la solitude inhérente au pouvoir. La solitude de l’homme et la solitude d’une île.
Car l’Angleterre, au plus fort de la tempête, est désespérément seule fin 1940. Seule car l’allié français a capitulé. Seule car les Etats-Unis refusent d’entrer en guerre, et qu’il faut toute la diplomatie de Churchill pour que Roosevelt ravitaille la Grande-Bretagne à travers l’Atlantique. Seule car l’Union soviétique, qui a pactisé avec Hitler, n’entrera en guerre qu’en 1941, lorsque le Führer se retournera contre son allié.
Relire les Mémoires de guerre de Churchill aujourd’hui permet de comprendre combien la première vertu politique, décidément, est le courage. Car Churchill aurait pu transiger avec Hitler. L’Allemagne ne demandait pas mieux que de conclure un armistice avec la Grande-Bretagne, ces lointains cousins germains. L’honneur du Premier ministre britannique est d’avoir considéré que non, décidément, il n’existe aucune manière possible de négocier avec un régime totalitaire, ouvertement antisémite et aux valeurs destructrices. Churchill est celui qui a osé dire non, au prix de la mise en danger de son pays, là où il aurait été tant plausible de dire oui.
De quoi méditer sur la résistance, aussi. Les époques les plus troublées, comme celle des années 1930 et 1940, sont les moments clés dans lesquels les hommes politiques ont pour tâche impossible d’incarner leur rôle de rendre le réel possible ou de refuser radicalement le réel qui advient. Cela demande la volonté ferme de faire l’opinion et de l’engager en indiquant une direction et un projet, et non de suivre cette opinion dans ses peurs et ses replis.
Churchill a reçu le prix Nobel de littérature en 1953 pour son oeuvre. Ses discours subsistent aujourd’hui, à l’instar de ceux de De Gaulle ou Malraux, tels ces rares moments suspendus où les mots sont à la hauteur des enjeux. A méditer, là encore, à l’heure du règne du buzz, des punchlines et de programmes politiques devant être expédiés en moins de 140 caractères. Les littéraires connaissent l’histoire et la fragilité des hommes. Lorsque l’art de la plume croise le poing de la conviction, la politique gagne alors ses véritables lettres de noblesse.
Mémoires de guerre, par Winston Churchill, 1959, Poche, 1 641 p. (tomes 1 et 2).
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici