Gérald Papy
C’est la hess par Gérald Papy : Soudan ou la malédiction des militaires
Dans la rétrospective de l’année 2020 du Vif, l’actualité du Soudan était rangée dans la catégorie des bonnes nouvelles. Et pour cause, le pays était passé de la dictature à un processus de démocratisation, à la faveur du renversement, en 2019, du président Omar al-Bachir après des mois de mobilisation de rue, de la promotion de l’islamisme à la défense des valeurs de liberté, de l’image d’un Etat paria, vilipendé pour sa répression de la rébellion du Darfour, à celle d’un modèle de transition démocratique en Afrique… Deux ans plus tard, l’immense espoir soulevé par la vigueur de la société civile est anéanti.
«Les dépenses militaires, qui représentent 80% du budget de l’Etat, asphyxiant les services essentiels comme l’éducation ou la santé, servent aujourd’hui à loger des balles dans les poitrines de nos fils et de nos filles», a témoigné, au journal LeMonde, Amira Osman Hamed, militante du mouvement pour la démocratie et activiste pour les droits des femmes. Si le Soudan est aujourd’hui plongé dans le chaos, c’est bien aux militaires qu’en incombe la responsabilité. En 2019, ils ont semblé promouvoir le processus de démocratisation. Mais c’était pour mieux le contrôler et, le 25 octobre 2021, y mettre, au minimum, un coup d’arrêt en écartant le Premier ministre civil et en reprenant les rênes du pouvoir. La rivalité entre les deux poids lourds du régime, le chef de l’armée régulière Abdel Fattah al-Bourhane et celui du corps paramilitaire des Forces de soutien rapide, Mohamed Hamdan Daglo dit Hemetti, latente depuis plusieurs années, a fini de ruiner les perspectives de transfert du pouvoir aux civils.
Les combats, qui paralysent le pays depuis le 15 avril, illustrent l’hostilité entre les deux chefs militaires, la lutte qu’ils sont prêts à mener pour asseoir leur pouvoir au détriment de l’autre, les intérêts communautaires potentiellement opposés qu’ils portent, entre al-Bourhane le nordiste et Hemetti l’homme du Darfour, voire les attentes géopolitiques que leurs sponsors étrangers ont placées en eux, Egypte et Etats-Unis derrière le chef de l’armée, les Emirats arabes unis et la Russie derrière celui des Forces de soutien rapide.
Un constat s’impose. L’intérêt général du Soudan et de sa population est absent aujourd’hui des préoccupations des seigneurs de guerre. Tragiquement, ce scénario rappelle celui qui a présidé aux premières années de l’existence de l’ancienne terre soudanaise admise à l’indépendance en juillet 2011 sous le nom de Soudan du Sud. De 2013 à 2018, deux figures de la lutte pour l’indépendance, et là aussi deux assoiffés de pouvoir, le président Salva Kiir et son vice-président Riek Machar, plongèrent le pays dans une guerre civile qui a entravé son développement au moment où sa population en avait un urgent besoin. Aujourd’hui, que le premier fasse partie de la délégation que l’Autorité intergouvernementale pour le développement, qui rassemble huit pays de la région, a envoyée à Khartoum afin de tenter de concilier les points de vue des belligérants est un retournement paradoxal de l’histoire qui ne préjuge en rien de la stabilité future ni du Soudan ni du Soudan du Sud, frappés tous deux par la malédiction des militaires.
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