Gérald Papy
C’est la hess par Gérald Papy : qu’est-ce qui pourrait priver Erdogan d’un troisième mandat?
En arrivant en tête du premier tour de l’élection présidentielle avec 49,5% des voix contre 44,9% à son principal adversaire Kemal Kiliçdaroglu, le raïs Recep Tayyip Erdogan a fait un grand pas, le 14 mai, vers sa réélection et un nouveau mandat de cinq ans à la tête d’une Turquie qu’il pourrait être amené à diriger pendant un quart de siècle. La coalition de six partis d’opposition, fédérée autour du leader du Parti républicain du peuple (CHP), pourra se targuer d’avoir fait douter le «monarque» islamo-conservateur et ses partisans. C’est assurément un sérieux pari sur l’avenir. En vingt ans de pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdogan n’a jamais été aussi fragilisé lors d’un scrutin présidentiel. A cette aune, l’élection, qui connaîtra son second tour le 28 mai, consacre bien le début du crépuscule du raïs turc. Mais il faudra vraisemblablement encore compter sur lui dans les prochaines années.
Difficile en effet d’imaginer que le rapport de force enregistré lors du premier round du scrutin puisse être complètement inversé. Les près de cinq points de différence entre les deux candidats constituent un avantage substantiel, dans une séquence où la participation électorale est importante, frôlant les 87% lors du premier tour. Rien n’indique que la mobilisation des deux camps, et moins encore celui du président sortant dont les sondages prévoyaient la défaite, ne fléchisse dans les quinze jours à venir.
Sauf événement imprévu, l’issue du deuxième tour repose donc principalement sur le vote des électeurs du candidat arrivé en troisième position, Sinan Ogan (5,1%). Le dirigeant de l’Alliance ancestrale est un nationaliste et ancien membre du Parti d’action nationaliste (MHP) d’extrême droite, qui est la deuxième composante de l’Alliance du peuple scellée autour d’Erdogan pour l’élection présidentielle. Certes, Sinan Ogan n’est pas opposé à «monnayer» son ralliement à l’un ou l’autre candidat. Mais le «prix» qu’il met sur la table pour appeler à voter en faveur de Kemal Kiliçdaroglu est à ce point élevé qu’il se retournerait sans doute contre son bénéficiaire. Il réclame que le leader de l’opposition rompe avec la gauche prokurde du Parti démocratique des peuples (HDP) qui lui a apporté son soutien. Or, le premier tour de l’élection présidentielle a montré une implantation forte de l’Alliance de la nation de Kiliçdaroglu dans les grandes villes, sur le pourtour méditerranéen touristique et… dans le sud-est de la Turquie, à dominante kurde. Prendre ses distances avec le HDP coûterait sans doute plus de voix au candidat de l’opposition que celles qu’il engrangerait.
La sociologie des électorats de Recep Tayyip Erdogan et de Kemal Kiliçdaroglu fixe le scrutin dans une confrontation observée dans d’autres Etats avec des accents différents entre une Turquie laïque, ouverte et proeuropéenne et une Turquie islamiste, conservatrice et nationaliste. Force est de constater que la dégradation de la situation économique et le fiasco de la gestion du séisme du 6 février dernier n’ont sans doute pas altéré l’Erdoganmania d’une majorité de la population turque au point de le dégager du pouvoir.
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