Thierry Fiorilli

C’est beau comme Yelena Osipova, la vieille dame résistante (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Depuis vingt ans, Yelena Osipova défie pacifiquement le maître du Kremlin.

Elle a 77 ans mais, sur les images, on dirait qu’il est bien plus tard. Elle est toute menue, comme sortie d’un livre pour enfants, quand c’est l’histoire d’une dame très ancienne, forcément très pauvre, ou alors d’un récit de Comès, quand il s’agit d’une vieille femme des bois, avec des pouvoirs magiques, un peu rebouteuse, un peu fée, qu’on craint et respecte à la fois. Quand on voit les deux policiers antiémeute, qui ont l’air de géants à côté, l’emmener le plus précautionneusement possible, parce qu’il faut l’emmener, ce sont les ordres, on comprend qu’eux aussi ont de l’estime.

Ils embarquent Yelena Osipova, pour quelques heures. C’était le 2 mars, à Saint-Pétersbourg, l’ex-Leningrad, en Russie. Six autres malabars ont encadré celle qu’on appelle là-bas « la grand-mère pour la paix », ou « la grand-mère de l’opposition ». Celle qui est devenue le symbole du mouvement de refus russe de la guerre en Ukraine. Yelena Osipova manifestait ce soir-là contre l’invasion décrétée par Vladimir Poutine. Avec des milliers d’autres, souvent très jeunes. Avec son béret noir, son écharpe à carreaux, un manteau chaud et deux pancartes qu’elle avait fabriquées. Sur l’une d’elles, elle avait dessiné – elle était enseignante d’art – des visages inspirés du Cri, d’Edvard Munch, et écrit « Soldat, baisse ton arme et tu seras un véritable héros. »

Quand les molosses sont arrivés, quand ils lui ont dit quelque chose qui devait signifier « madame, vous ne pouvez pas manifester, veuillez nous suivre, s’il vous plaît », parce qu’on ne peut pas imaginer autre chose, et parce qu’on voit bien qu’ils y vont mollo, elles les a suivis, docilement, un peu décontenancée, comme quand on ne retrouve plus ses lunettes et qu’on n’est pas chez soi, mais pas inquiète. Et sous les applaudissements de la foule.

Parce que s’opposer aux conflits armés, et se faire arrêter pour ça, elle en a coutume, Yelena Osipova, née après le siège de Leningrad – 1941-1944, plus d’1 800 000 victimes, dont une majorité de civils – mais grandie au milieu des souvenirs des survivants. En 2002, pour avoir protesté contre l’assaut violent (décidé par Poutine, déjà) du théâtre Doubrovka, à Moscou, lors de la prise d’otages par un commando tchétchène. En 2013, lors du sommet du G20 à Saint-Pétersbourg, parce qu’elle défilait avec un panneau où elle avait inscrit « Ne croyez pas à la justice de la guerre ». En 2020, durant une manifestation à l’occasion du 34e anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl.

En 2016, pour les septante-cinq ans du début du blocus, elle avait dessiné sur un mur de la ville, pour son amie Lenina Nikitina, elle aussi artiste et dont la famille a été décimée durant l’attaque nazie. Un an plus tard, des badauds l’insultaient, parce qu’elle défilait avec des pacifistes. Toujours avec ses fameuses pancartes décorées, comme pour dénoncer la guerre en Irak ou les bombardements (russes) en Syrie. Depuis vingt ans donc, elle incarne le courage, la détermination, l’endurance et l’ampleur des résistants russes au maître du Kremlin. Comme la preuve que tout n’est pas perdu.`

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