Thierry Fiorilli
C’est beau comme les cinq salopards de Friskney, par Thierry Fiorilli (chronique)
Avant que vous ne réalisiez, vous vous retrouvez comme dans un vieux club pour hommes, avec tout le monde qui jure et rit.
Le 6 juin, sur Twitter, Samuel Goldschmidt, grand reporter à RTL radio, en France, était catégorique: « On ne lira rien de mieux aujourd’hui. » Puis il précisait que bon, ça remonte à septembre dernier, mais même neuf mois plus tard, c’est caviar. Il a raison: les belles histoires n’ont pas de date de péremption. Pas toutes. A l’époque, au Lincolnshire Wildlife Park, à Friskney, dans l’est britannique, face à la mer du Nord, on est très fier de montrer aux visiteurs les cinq perroquets gris du Gabon adoptés un mois plus tôt et placés en quarantaine avant leurs grands débuts publics. Sauf que la parade a fait long feu. Les perroquets insultaient copieusement les gens (à côté, ceux d’Hergé, dans Le Trésor de Rackham le Rouge, sont des poètes) et puis en rigolaient très très fort entre eux. Les responsables du parc animalier ont estimé que si ça faisait bien rire la plupart des adultes, c’était un spectacle désolant pour les enfants. Or, le week-end arrivait et avec lui la marmaille, en force. Du coup, ils ont expédié les volatiles dans une volière non visible, loin des oreilles innocentes.
Avant que vous ne ru0026#xE9;alisiez, vous vous retrouvez comme dans un vieux club pour hommes, avec tout le monde qui jure et rit.
C’est durant la quarantaine que tout s’est joué. Les cinq énergumènes, confinés ensemble, se sont refilé les uns les autres les gros mots appris de leurs cinq propriétaires précédents. Puis ils ont compris que quand ils juraient, les gardiens se marraient bien. Encouragés, ils y sont donc allés franco, en pestant toujours plus et en reproduisant les rires humains. Pour finalement mettre au point leur numéro: « Les gars, voilà le pitch: chaque fois qu’on lâche une obscénité, les quatre autres se bidonnent, et ça va être quelque chose. » En effet. La petite semaine au grand air les a déchaînés: que les gens soient hilares ou consternés devant ce langage de charretier, les perroquets, aux anges, en rajoutaient, tant dans la grossièreté que dans la moquerie collective. Le directeur général du parc a bien résumé l’affaire à Geo: « Avant que vous ne réalisiez, vous vous retrouvez comme dans un vieux club pour hommes, avec tout le monde qui jure et rit. »
L’enclos où les voyous ont été renvoyés jouxte celui de collègues bien éduqués, eux. Objectif de la manoeuvre: qu’ils apprennent à parler correctement, même si le Lincolnshire Wildlife Park redoute l’effet inverse: que les cinq salopards enseignent leurs insultes aux camarades polis et qu’on « termine avec 250 perroquets qui jurent ». On sera fixé une fois le déconfinement britannique en vigueur.
Mais quelle histoire! Qui en dit beaucoup sur les manières de ces drôles d’oiseaux que sont et les gris du Gabon, et les êtres humains. D’abord, la parole « qui offense, qui blesse la dignité », comme résume Larousse, se porte bien et se retient encore mieux, et pas que sur les réseaux sociaux. Ensuite, ce qui embarrasse, on a toujours tôt fait de s’en débarrasser. En le soustrayant à l’ouïe ou à la vue. Pas en public. Pas au guichet. Ouste, on cache le vilain, le sein, l’importun, le voile. Et même le miroir. De nous le rappeler, thanks les parrots.
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