Centrafrique : « Les musulmans meurent de privation sous les yeux de troupes internationales »
Le silence est tombé sur le conflit en Centrafrique qui a fait des milliers de victimes civiles. « L’état veut faire croire que le calme est revenu » explique Peter Bouckaert de Human Rights Watch. « Mais entre-temps, les musulmans meurent de privations dans les enclaves de la République centrafricaine (RCA) surveillées par des troupes internationales ».
Depuis son indépendance, survenue en 1960, la République centrafricaine est marquée par le chaos et les coups d’État. En 2003, François Bozizé a lancé une insurrection contre le président de l’époque, Ange-Félix Patassé. En représailles, les rebelles se sont réunis sous le nom de Seleka, qui signifie « alliance ». Fin 2012, les milices rebelles associées ont lancé une offensive. En mars 2013 elles ont pris la capitale Bangui abandonnée par la France. Assermenté en août 2013, l’ancien rebel Djotodia a dissous Seleka, créant l’illusion d’un retour au calme.
Une illusion, car la progression de Seleka – qui a tout brûlé sur leur passage – a entraîné l’éclosion de groupes d’autodéfense réunis sous le nom d’anti-bakala et responsables de massacres de musulmans. « On entend souvent qu’il s’agit d’une confrontation entre musulmans et chrétiens, mais c’est un malentendu » explique le prêtre Bernard Kinvi. « La croyance la plus représentée est l’animisme ». Les anti-bakala visent les musulmans du pays par colère du coup d’État par les Seleka. « Alors que Seleka, bien que principalement islamique, compte également d’autres croyances dans ses rangs ».
La spirale mortelle de violence et de représailles a fait entre 3.000 et 6.000 victimes civiles. Lorsque fin 2013 la violence a atteint la capitale Bangui, un quart de la population – plus de 100.000 personnes – a pris la fuite. En dehors de la capitale, beaucoup d’habitants ont fui vers le Congo, le Tchad et le Cameroun.
« Dans l’ouest du pays, la situation s’est plus ou moins stabilisée grâce à l’aide des troupes internationales » déclare le prêtre Bernard Kinvi, qui a accueilli des musulmans pendant la guerre . Lorsque début décembre 2013 le leader de Seleka, Michel Djotodia, a démissionné et que la maîtrise de la violence sectaire a été laissée à Catherine Samba-Panza, les Seleka sont partis vers l’est. « Traditionnellement, cette région connaît une importante population musulmane, mais -malgré la présence de quelques troupes multinationales – il y a encore régulièrement des confrontations violentes ».
« Évidemment que la violence dans l’ouest du pays a diminué » déclare Peter Bouckaert, directeur de la division Urgences de Human Rights Watch (HRW). « Les musulmans de cette région ont fui le pays en masse, vers le Cameroun et le Tchad. C’est comme si tous les Flamands quittaient Bruxelles et qu’après on dit que la paix est rétablie ».
Grenades à vendre pour 50 cents
« Le pire a été évité grâce à l’aide de la communauté internationale, mais le retrait des troupes survient à un moment très critique » estime Kinvi.
Le prêtre invoque l’urgence de désarmer les habitants. « Tous les foyers ont des armes à leur disposition, on trouve des grenades à 50 cents sur les marchés » témoigne-t-il. « La population a été confrontée à la violence, a appris à tuer et a toujours des armes à sa disposition. Les conflits de voisinage se ‘résolvent’ facilement par un assassinat ».
Cependant, il y a de plus en plus d’accusations de sorcellerie en RCA. « Une victime a été enterrée vivante, les incidents sont incessants » raconte Kinvi. « Dans ces cas-là, nous devons agir rapidement, afin que les accusés ne soient pas exécutés par les milices anti-balaka ».
Selon le prêtre Brice Patrick Nainangue, les Nations Unies ont promis d’appliquer des résolutions, qui devaient donner un mandat aux troupes pour désarmer, mais « nous ne voyons aucun résultat, nous n’entendons que des projets ».
Cependant, les Nations Unies essaient d’influencer les prochaines élections. « Celles-ci sont prévues pour juillet ou août 2015, mais organiser des élections maintenant serait désastreux. : la plupart des musulmans se trouvent à l’étranger et il n’y a pas encore de stabilité » assure Nainangue. « Les Nations Unies déclarent ne plus vouloir financer les élections à cause de la corruption. Mais je crois que c’est une façon de les postposer ».
Avant que les élections soient possibles, il faut en effet résoudre les problèmes de corruption, de pauvreté, de faim, d’enseignement et d’équipements sanitaires. « Ce sont toutes des causes de la crise alors que la RCA est riche en matières premières. Le pays est assis sur un tas d’or et de pétrole ».
Prisonniers dans les enclaves
Il faut d’abord s’occuper du ravitaillement. « Il faut réorganiser l’agriculture, mais il faut également davantage d’aide humanitaire. On a dû l’attendre pendant un an » dit Kinvi.
Bouckaert: « Les problèmes se posent surtout à l’ouest. Il y reste quatre populations musulmanes protégées par les troupes internationales. Pourtant, les gens y meurent quotidiennement, de faim, de maladie et de privations. L’état les empêche de fuir vers les pays voisins comme le Cameroun parce qu’il veut donner l’impression que la guerre est finie et que les gens peuvent à nouveau vivre ensemble. Et ces troupes internationales sont aux ordres du gouvernement ».
Les soins de santé sont également déplorables. « Il faut rendre accessibles les hôpitaux et les soins généraux, afin que les gens ne recourent pas aux méthodes traditionnelles, car celles-ci sont inefficaces » estime Kinvi.
Selon le prêtre, pour changer les mentalités il faut se concentrer sur l’enseignement même s’il reste beaucoup de travail de ce côté-là. « Depuis 1960, l’année de l’indépendance, l’état n’a pas construit une seule école. Jusqu’en 2012, les salaires des enseignants étaient payés par les Nations Unies. Ensuite, l’état ne s’en est pas chargé et il y a eu des grèves. Pendant la guerre qui a éclaté en 2013, les Nations Unies se sont à nouveau chargées des paiements, mais elles cesseront en mars 2015. Reste à savoir si l’état paiera ou s’il y aura de nouvelles grèves, la dernière chose que nous voulons vu la surabondance d’armes ».
« La majorité souhaite que les musulmans reviennent »
Les prêtres tentent de rétablir la paix et de réconcilier la population grâce au dialogue. « En fait, il s’agit d’une tâche de l’état, mais nous ne pouvons attendre qu’ils fassent un effort. Si nous ne favorisons pas la cohésion sociale, les réfugiés voudront se venger. C’est pourquoi nous avons commencé au niveau local et nous ne parlons pas uniquement à ceux qui sont restés en RCA, mais essentiellement aux réfugiés à l’étranger » explique Kinvi.
Au moins 60 à 70% de la population en RCA désire que les musulmans reviennent, ce qui est une large majorité » dit Kinvi. « Beaucoup de gens réalisent que l’argent circulait dans le pays grâce aux musulmans » déclare Bouckaert. « Ceux-ci achetaient des produits agricoles comme le manioc. Maintenant la population restée sur place n’arrive plus à vendre ces denrées en grande quantité ».
« Un petit groupe de 5% est encore très hostile au retour de ces musulmans » pense Kinvi. « La population musulmane possédait de magnifiques maisons et de centres commerciaux en RCA. Les maisons vides ont été pillées et occupées par les gens restés sur place. Ce groupe ne veut pas que les propriétaires reviennent ».
En revanche, les propriétaires musulmans légitimes qui résident dans les camps de réfugiés des pays voisins souhaitent revenir. « Les commerçants veulent retourner à leurs affaires » dit Kinvi. « D’autres, comme le groupe nomade de pasteurs islamiques appelés Peuls, ont peur de revenir ».
« En RCA, les Peuls étaient souvent en conflit avec les agriculteurs, une aversion comparable à celle au Darfour au Soudan et à celle des Hutus- agriculteurs – et des Tutsis au Rwanda » explique Bouckaert. « Les Peuls étaient particulièrement victimes des anti-balaka, parce qu’ils étaient facilement reconnaissables. Tous leurs boeufs ont été tués. Finalement, ils se sont concentrés dans les villes, mais quand elles ont été attaquées, des centaines de milliers de Peuls ont fui vers le Cameroun.
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