Raoul Hedebouw
Ce que les élections françaises nous apprennent pour la Belgique (carte blanche)
Ce que Macron redoutait est arrivé. Après un score inattendu à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon et la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) ont remporté le premier tour des législatives en France. En attendant le second tour, un certain nombre de leçons peuvent déjà être tirées de ce résultat pour la gauche authentique ici en Belgique et ailleurs en Europe.
D’abord, le programme. L’enthousiasme suscité par la campagne présidentielle de Mélenchon, qui s’est prolongé avec la dynamique de la Nouvelle union populaire, ne peut pas être compris indépendamment du programme radical qu’elles portent. Un programme en rupture avec les dogmes néolibéraux, axé autour de mesures sociales fortes comme le blocage des prix du carburant et des biens de première nécessité, l’augmentation du salaire minimum à 1500 euros net ou le retour à la pension à 60 ans. Un programme basé sur une politique ambitieuse de taxation du grand capital et d’investissements publics sociaux et écologiques. Un programme qui revient sur les mesures anti-sociales prises durant le quinquennat de Macron, mais aussi celui de François Hollande, avec notamment l’abrogation de la loi El Khomri (loi votée sous le mandat de François Hollande, visant à détricoter le Code du travail au profit des grandes entreprises, ndlr). Un programme qui prévoit aussi la désobéissance aux traités et règles européennes qui font obstacle à ces avancées. C’est ce programme qui a permis d’obtenir un tel succès parmi la jeunesse (42 % des votes des moins de 25 ans) et parmi la classe travailleuse.
C’est ce programme de rupture, et le soutien qu’il a obtenu à la présidentielle, qui ont rendu possible l’alliance électorale de la gauche aux législatives. Laminés par des années de social-libéralisme, avec moins de 2 % à la présidentielle, les socialistes – tout comme les verts – étaient menacés dans leur existence. Sans doute aura-t-il fallu cela pour qu’ils acceptent d’amener un regard critique sur leur bilan et remettent en cause (au moins formellement) l’héritage de François Hollande. Il est évident que cette base est fragile et que cette situation n’est pas comparable avec la Belgique aujourd’hui. Mais toujours est-il que la Nouvelle union populaire réussit ainsi à déplacer le débat politique vers la gauche, à mettre la question du pouvoir d’achat au centre des débats, renvoyant au second plan, au moins temporairement, l’extrême droite et ses obsessions identitaires.
Cette victoire de la gauche radicale est aussi la défaite d’Emmanuel Macron et de son programme néolibéral. La défaite du président des riches, celui qui a supprimé l’impôt sur la fortune, attaqué les retraites et provoqué les Gilets jaunes. C’est bien simple : jamais, sous la Ve République, un président français n’a obtenu un résultat aussi faible aux législatives dans la foulée de son élection. Et jamais non plus l’abstention n’a été aussi forte (53 % des électeurs n’ont pas été voter). Selon les sondages, 65% des Français ne veulent tout simplement pas qu’Emmanuel Macron dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale. La crise pour le pouvoir en place est évidente.
Face à ce succès, l’establishment politique, médiatique et économique français n’a pas hésité à mettre tout en œuvre pour diaboliser la Nouvelle union populaire et effrayer ses électeurs. Aujourd’hui, les candidats de la majorité, les mêmes qui appelaient les électeurs de Mélenchon à la présidentielle à voter pour Macron au deuxième tour pour faire barrage à l’extrême-droite au nom des « valeurs républicaines », refusent de se prononcer lorsque des duels opposent la NUPES au Rassemblement national de Marine Le Pen. Pire, certains, comme la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Amélie de Montchalin, appellent à faire barrage contre la gauche, « contre ces candidats qui promettent la soumission à la Russie, à des idées antisémites et l’affaiblissement de la France », avertissant qu’un « un boulevard est en train de s’ouvrir au désordre et au chaos ». C’est le même scénario qu’on a vu lorsque Bernie Sanders ou Jeremy Corbyn ont commencé à avoir du succès, respectivement aux États-Unis et en Angleterre. Dans ces moments cruciaux, on voit bien que l’ennemi numéro un de l’establishment n’est plus l’extrême droite mais bien la gauche authentique.
C’est aussi une leçon : ceux qui veulent sortir du cadre doivent être préparés à encaisser les campagnes de haine (de classe) de l’establishment. La NUPES ne fait pas exception. Jamais dans l’histoire la bourgeoisie n’est restée immobile quand elle a senti ses intérêts menacés. On l’a vu en Grèce, avec le gouvernement néoréformiste de Syriza, qui a été mis sous une pression invraisemblable à la fois par la classe dominante grecque et par la troïka (BCE, FMI Commission Européenne). Quand une force politique met en avant ne fut-ce que quelques mesures qui veulent sortir du cadre néolibéral établi, la réaction est immédiate et féroce. L’expérience grecque a montré aussi qu’une majorité parlementaire ne suffit certainement pas dans ce cadre, qu’il faut avant tout construire un véritable rapport de force sur le terrain en préparant, organisant et en mobilisant la classe travailleuse (avec un rôle essentiel aussi pour les syndicats et le large mouvement social). Vu cette campagne de l’establishment et le système électoral français, il sera difficile pour la NUPES d’obtenir une majorité dimanche prochain, lors du second tour. Mais la mobilisation, notamment celle de la jeunesse, pourrait faire la différence. Il est possible que Macron perde sa majorité. Et, dans tous les cas, la gauche authentique a d’ores et déjà obtenu la victoire politique en France. Elle a montré qu’elle pouvait enthousiasmer et remobiliser la jeunesse et la classe travailleuse. Face à un Macron fragilisé, avec la perspective d’un bloc parlementaire de gauche solidement renforcé, cette campagne électorale peut être un point de départ pour le mouvement social français pour arracher des victoires dans les années à venir.
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