Abdel Serghini
Ce que cache réellement le Burkini
L’été 2016 aura été marqué par les incidents et débats inachevés autour du Burkini, une forme du voile islamique adaptée à la natation. Une nouvelle fois, nos démocraties semblent déboussolées face à l’usage de la notion de liberté chérie par toutes et tous.
Plusieurs analystes, journalistes, juristes et autres intellectuels ont commenté les faits. Le déchirement et la division sont palpables puisque si pour certains la liberté de la femme est mise à mal par le port de ce nouveau voile, la liberté de choisir sa tenue de plage prime chez beaucoup. Ces derniers se sont sentis renforcés grâce à l’indignation suscitée par les photos d’une femme voilée contrôlée sur la plage niçoise. Si toutes ces analyses et commentaires sont intéressants, force est de constater l’incapacité de beaucoup à aller au-delà de l’apparence et d’examiner le fait politique qu’incarne le voile des femmes sous toutes ses formes, y compris celle du Burkini. Nous assistons depuis le début des années 80 à cette progression incessante de l’islam politique (Les frères musulmans en Égypte, l’AKP en Turquie, Ennahda en Tunisie, le PJD au Maroc, etc.). La réussite de cette idéologie, motivée par une soif de pouvoir, repose notamment sur deux axes : le premier consiste en un renforcement de la religiosité des identités et le second en un travail intellectuel visant à une espèce de concordisme entre islam et modernité. Par rapport au premier axe, il suffit de rappeler l’analyse de Tarek Ramadan au sujet de la compatibilité entre le fait d’être musulman et le fait d’être français, l’idéologue de l’islam politique livre une analyse qui ne laisse aucune place à l’ambigüité « musulman, c’est une conception de la vie, c’est le sens de ma vie et le sens de ma mort, c’est au-delà de tout. Français, c’est ma situation géographique, et ma situation géographique, elle ne peut pas avoir raison de ma vie et du sens que je donne à ma vie « . Par rapport au deuxième axe, on ne compte plus les travaux universitaires, conférences, articles dans la presse internationale renommée, interventions sur des plateaux télé et livres de nombreux intellectuels islamistes visant à promouvoir la compatibilité de l’islam politique avec la modernité et les valeurs issues de la démocratie et de la laïcité. Si le premier axe assure une adhésion au mouvement, le deuxième vise à rassurer (duper) quant à la capacité de l’islam politique à préserver et même à renforcer les droits fondamentaux qu’offrent les démocraties modernes à leurs citoyens. Cela va de l’exercice du droit, à l’activité bancaire en passant par des thèmes inattendus comme la communication et l’exercice des loisirs. L’idéologue islamiste marocain Abdessalam Yassine a consacré en 1998 un livre à la question dont le titre est suffisamment annonceur « Islamiser la modernité ». Dans ce livre il prône notamment le rôle politique des mosquées : « Les mosquées devront redevenir le lieu géométrique de l’éducation et irradier autour d’elles l’esprit du sérieux et de la fidélité à la Loi de Dieu … Il faudra restituer à la mosquée son rôle traditionnel et l’animer d’un nouveau souffle. La mosquée… doit être de nouveau le point de départ d’une activité bourdonnante, au lieu d’être un cloître aussitôt fermé après un temps limité pour la prière » ; plus loin il écrit sur l’islamisation de tous les domaines de la vie et de la société ceci : « Un cadre légal nouveau devra être mis en vigueur, qui tracera les lignes d’une déontologie islamique dans les domaines du commerce, de l’industrie, de l’investissement, de la banque, de l’entreprise, de l’administration, des sociétés anonymes et bien d’autres domaines. »
Le voile, sous toutes ses formes que l’on observe de plus en plus aujourd’hui dans nos rues, plages et autres lieux publics, est, dans bien des cas un uniforme dans un contexte de luttes idéologiques. Mais l’analyse et la réponse à lui réserver sont rendues compliquées puisqu’elles sont nombreuses, les femmes qui ne sont pas conscientes de ce militantisme politique dans lequel elles sont amenées, sans forcément le savoir, à jouer un rôle très important. Si certaines sont dans une démarche spirituelle, il ne fait aucun doute que beaucoup sont dans une revendication identitaire résultant du premier axe de l’islam politique, participent de plein gré à l’action politique, y sont poussées à cause d’un harcèlement incessant ou subissent le diktat religieux, c’est notamment le cas de plus en plus de fillettes que l’on voit dans nos rues. L’attitude de la femme sur la plage de Nice ne m’encourage pas à la catégoriser parmi les spirituelles : s’étendre complètement voilée proche d’un poste de police, sans serviette, sans parasol et sans eau sous un soleil brûlant au milieu de gens en tenue de plage et enlever un vêtement suite à l’intervention des policiers, ne relèvent à mon sens pas d’une démarche spirituelle. Dans ce contexte, il est certainement utile de souligner cet inacceptable harcèlement que subissent les femmes qui portent des bikinis ou monokinis sur les plages algériennes, marocaines et tunisiennes en raison de leur attitude non conforme aux préceptes religieux, aux yeux des sbires de l’islam politique. Beaucoup d’entre elles ont fini par déserter les plages. C’est le résultat d’une islamisation à outrance des identités et par conséquent des moindres faits et gestes du quotidien en dehors de tout contexte spirituel.
Certes, toute décision qui sera prise par rapport au port du voile, sous toutes ses formes, devra être couverte par les règles de l’État de droit. Mais il est plus qu’impératif et urgent de saisir la portée politique et les menaces du projet sous-jacent que représente le voile islamique, sous toutes ses formes. Pour celles et ceux qui s’obstinent à n’y voir qu’un vêtement et qui défendent l’idée qu’il s’agit d’un choix personnel couvert par la liberté, ils pêchent au mieux par naïveté coupable, au pire par complicité meurtrière à l’égard de nos valeurs fondamentales telles que la liberté de conscience et l’idéal égalitaire. Toutes les forces citoyennes devront travailler ensemble afin de briser le projet de l’islam politique. Deux actions me paraissent primordiales : 1) ouvrir les yeux à celles qui portent le voile sans être conscientes de la réalité de l’islam politique et sans savoir qu’elles participent à un projet politique ; 2) protéger les fillettes, au nom des droits fondamentaux de l’enfant, d’une idéologie anéantissant toute forme d’imagination tout en favorisant les pires complexes d’infériorité. Par rapport à la situation des fillettes, toute inaction me semble participer à un projet criminel !
Pour celles et ceux qui ont des hésitations quant à l’islam politique, je les invite à s’intéresser aux cas algérien, égyptien et iranien. Pour ne citer que le cas de l’Égypte, le rayonnement culturel qu’a exercé cette dernière pendant des dizaines d’années sur tout le pourtour méditerranéen et au-delà, grâce à ses créateurs, actrices, cinéastes, compositeurs, chanteuses et autres écrivains, a tout simplement été réduit à néant par la déferlante des Frères musulmans. Les Oum Kalthoum, Faten Hamama, Mohamed Abdel Wahab, Omar Sharif et bien d’autres doivent se retourner dans leur tombe. Enfin, sur le voile islamique, les travaux menés en 2003 par la commission Stasi délivrent des analyses éclairantes.
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