Casser l’héroïsation: le frère d’un djihadiste raconte
Abdelghani Merah avait dénoncé les tueries commises par son frère Mohammed il y a quatre ans en France. Aujourd’hui, après une descente aux enfers, il va prêcher la bonne parole auprès des jeunes radicalisés.
Il a presque 40 ans, le crâne rasé, les yeux clairs. De profil, il ressemble beaucoup à Mohammed, l’assassin de trois militaires et de quatre juifs en mars 2012 dans le sud-ouest de la France. Un bras handicapé par un accident de moto, sa frêle silhouette rase les murs car il se sait menacé. Il souhaite d’ailleurs rester discret sur son lieu de résidence.
Il n’oubliera jamais ce matin de mars il y a quatre ans, où, allumant la télé, il reconnaît la rue de son frère cernée par les forces de police. Le « tueur au scooter » aperçu aux abords de l’école juive de Toulouse où trois enfants et un enseignants ont été tués à bout portant le 19 mars 2012, c’était donc lui. « Je suis arrivé en trombe, paniqué. Les policiers ont cru que je voulais les attaquer. Mais je voulais les aider à négocier avec Mohammed », raconte-il lors d’un entretien avec l’AFP.
Il savait que ça arriverait. Déjà en 2003 « j’avais signalé mon autre frère Kader qui se faisait appeler Ben Laden » dans son quartier. Abdelkader Merah est aujourd’hui renvoyé devant une cour d’assises spéciale pour complicité avec Mohammed.
Pour Abdelghani, ce sont leurs parents qui ont dispersé « le terreau fertile » à la radicalisation et à l’antisémitisme sans borne de ses frères et de sa soeur Souad. « Ma mère disait toujours que les Arabes sont nés pour détester les Juifs. Et mon père estimait que les Palestiniens ont raison de se faire exploser et les Israéliens ont ce qu’ils méritent ».
Mouton noir
Lui « ne sait pas » pourquoi il n’est pas devenu comme eux. « J’étais plutôt un bon gardien, courtisé par des clubs de foot réputés, c’est peut-être de là que vient mon ouverture ».
Sa vie, cabossée, n’est qu’une série de ruptures avec sa famille. La première lorsqu’il tombe amoureux d’une femme d’origine juive. Insupportable pour Abdelkader qui le poignardera très gravement.
La deuxième lorsqu’il filme sa soeur à son insu pour lui faire dire qu’elle est « fière » des attentats perpétrés par son frère. Il écrira dans la foulée un livre « Mon frère, ce terroriste ».
« Pour eux, j’avais fait la pire des choses (…) J’ai perdu tous mes amis du jour au lendemain ».
« J’ai cru être soulagé après le livre mais en fait j’étais déprimé. Ma famille en voulait plus à moi qu’à Mohammed. J’avais beaucoup de peine pour eux, ils ne se rendaient pas compte de ce qu’ils faisaient de l’idolâtrer comme ça ». Pour eux, « il n’avait pas tué des enfants mais des juifs ».
Il glisse doucement, se sépare de sa compagne, se retrouve sans emploi ni logements car son nom est un repoussoir.
« Casser le mythe » de Mohammed
Jusqu’au jour où Mohamed Sifaoui, un journaliste qui l’a aidé à écrire son livre, l’invite à un colloque à Paris sur la déradicalisation. Il y rencontre les gens de l’association Entr’autres, qui tente de désendoctriner les jeunes tentés par le jihad, et s’engage auprès d’eux.
« Abdelghani apporte la vérité sur le personnage de son frère; il casse l’héroïsation. Il montre que l’extrêmisation politico-religieuse se fait à partir du milieu familial, comme dans les familles nazies », explique Patrick Amoyel, professeur de psychopathologie et membre fondateur d’Entr’autres.
« Je peux apporter quelque chose, casser le mythe de Mohammed. Dire aux jeunes que mon frère était faible » et « qu’il s’est fait voler son cerveau », témoigne Abdelghani.
Les mères, « j’essaie de les réconforter, de leur dire que ce qu’elles font est essentiel. Si Mohammed avait eu de leur amour, il ne serait jamais devenu Mohammed Merah ».
« Je les préviens aussi: s’il y a un salafiste dans la famille, il faut le couper des autres » car les attentats de Bruxelles et Paris montrent bien la place qu’occupe la fratrie dans le djihad.
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