
Elections législatives au Canada: pourquoi le favori, Mark Carney, dit merci à Donald Trump
Tous les sondages donnent le Premier ministre sortant vainqueur des élections législatives. Plus que son rival Pierre Poilievre, il paraît mieux armé pour tenir tête au président américain.
«Carney éclipse Poilievre», titrait récemment le quotidien montréalais La Presse. A moins d’un coup du sort, le nouveau Premier ministre, nommé par les militants libéraux il y a un peu plus d’un mois, va réussir son pari d’obtenir un mandat fort le 28 avril à la faveur des élections générales au Canada. Avec environ 44% des intentions de vote selon la plupart des sondages, Mark Carney creuse l’écart avec tous ses poursuivants, en particulier avec les conservateurs de Pierre Poilievre, crédités de 38% des voix. La gauche du Nouveau parti démocratique (NPD) obtiendrait 9% des voix, et les souverainistes du Bloc québécois n’en récolteraient que 6%.
Le chef du Parti conservateur du Canada (PCC) plafonne dans les intentions de vote, en partie à cause de ses prises de position radicales, qui peuvent s’expliquer par son soutien aux groupes antivax, et surtout en raison de sa proximité idéologique avec les idées de Donald Trump au cours des dernières années. Bien qu’il tente de couper le lien idéologique avec le locataire de la Maison-Blanche, le mal est fait. Pierre Poilievre projette une image trop agressive dans l’opinion, même s’il emmène dans ses meetings, pour lisser son image, ses bambins et son épouse, une immigrée vénézuélienne tout sourire, qui serre les mains à tout va. Les conseillers de Pierre Poilievre lui ont demandé d’être plus souriant, de donner une image d’«happy warrior» (gentil guerrier). Mais cela ne fonctionne pas, tant son côté trumpiste lui colle à la peau.
Mark Carney projette une stature d’homme d’Etat, respecté même par Donald Trump.
Fondamentalement libéral
La débâcle attendue des conservateurs et la remontada inattendue des libéraux, donnés encore largement perdants au début de l’année lorsque Justin Trudeau était à la tête du pays, sont dues à l’omniprésence de Donald Trump dans la sphère politique canadienne depuis six mois. Mais aussi parce que le Canada demeure un pays fondamentalement libéral, plus que conservateur. Les envolées trumpistes de Pierre Poilievre ne séduisent qu’une frange de la population. Enfin, le chef du PCC propose tout sauf un programme glamour, avec une diminution des services publics, une dose d’austérité et la fin du financement des populaires chaînes de radio-télévision publiques. Il s’est ainsi attiré les foudres des médias étatiques tout comme des journalistes après leur avoir refusé l’accès à son avion et à son bus lors de la campagne électorale, une première historique. Les positions ambiguës de Poilievre sur l’avortement, même si en milieu de campagne il a assuré qu’il respecterait ce droit, lui ont fait perdre l’électorat féminin.
Le Nouveau parti démocratique, lui, est menacé d’extinction pour avoir pendant plusieurs années fait alliance avec Justin Trudeau, au prix de compromis qui ont mis en danger ses valeurs de gauche.
Contradictions sur l’écologie
Pour le leader libéral, en revanche, les atouts sont nombreux. Mark Carney s’est présenté comme un banquier vert, soucieux des enjeux écologiques, alors qu’il a supprimé la taxe carbone pour les personnes et que ses toutes récentes fonctions à la tête du conseil d’administration de Brookfield Asset Management démontrent le contraire. Selon les médias canadiens, ce fonds d’investissement pratiquerait le greenwashing. Mais l’environnement, dans un des pays les plus pollueurs au monde, n’est un enjeu que pour… 2% des Canadiens.
Autre point positif pour Mark Carney, il est originaire de l’Ouest canadien, où le vote est d’ordinaire conservateur. Les libéraux pourraient donc faire une percée historique dans le château fort pétrolier de Pierre Poilievre qu’est l’Alberta, notamment parce que Carney veut relancer la construction d’oléoducs pour diminuer la dépendance du pays envers le marché américain pour ses exportations d’or noir. «L’ancienne relation que nous entretenions avec les Etats-Unis, fondée sur une intégration croissante de nos économies et sur une coopération étroite en matière de sécurité et de défense, est terminée», a indiqué Mark Carney pour justifier son programme de grands projets d’oléoducs. L’Ouest canadien se laisse séduire.
Même les débats télévisés entre les leaders, à la mi-avril, n’ont pas été déterminants, pas même celui en français, une langue que le chef libéral maîtrise pourtant mal. «Match nul», ont titré plusieurs médias au lendemain de ces échanges policés. C’est que l’élection mobilise les Canadiens qui souhaitent porter au pouvoir un leader apte à affronter l’ennemi américain. Et Mark Carney projette cette stature d’homme d’Etat, respecté même par Donald Trump lors d’un récent appel téléphonique entre les deux hommes. Ainsi, plus de 62% des Canadiens estiment qu’il est le meilleur chef pour négocier avec le président voisin, selon un sondage de l’institut Nanos, contre 23% pour le leader du PCC. Un élément crucial, puisque la moitié des Canadiens jugent que les relations avec le gouvernement américain sont l’enjeu le plus important de l’élection. Plus de 63% des Canadiens sont inquiets de la détérioration de la situation entre Washington et Ottawa.
«Carneymania» au Québec
Mark Carney séduit avec son image sérieuse et de compétence, même au Québec où une certaine «Carneymania» a vu le jour, alors qu’en temps normal, un ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, anglophone, représentant des élites, aurait fait fuir les votants. «Le peuple québécois est une nation au sein du Canada», a affirmé le Premier ministre pour amadouer les électeurs de la Belle province.
Les habitants du Canada portent aussi une attention majeure à l’économie. Et là encore, Mark Carney fait la différence de par son expérience professionnelle. Il y eut une «Trudeaumania» il y a dix ans, mais pour des raisons différentes, basées sur une forme de progrès social que le «playboy» incarnait. Mark Carney ne joue pas sur son physique comme son prédécesseur. Il se pose en dirigeant garant du futur du Canada. Cependant, rien n’est totalement joué jusqu’au jour du vote.
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