Pierre Schoffers
Carnaval: Trump l’épouvantail
« La tradition perpétue la satire de l’establishment local mais aussi celle des princes du monde. Pas étonnant donc que, cette année, le nouveau président américain est sorti grand vainqueur du lot des cibles des carnavalistes de tout poil. »
Brocarder le prince était l’essence même du carnaval rhénan à ses origines, spécialement depuis la fin du XVIIIe siècle et l’occupation française. L’origine des figures actuelles, leurs rôles et leurs costumes remonte à cette époque. La tradition perpétue la satire de l’establishment local mais aussi celle des princes du monde. Pas étonnant donc que, cette année, le nouveau président américain est sorti grand vainqueur du lot des cibles des carnavalistes de tout poil. Les Allemands n’ont pas non plus raté ni épargné le président turc Erdogan qui, en 2016, n’a d’ailleurs pas hésité à poursuivre en justice un humoriste de la télévision allemande ZDF, Jan Böhmerrman, pour avoir lu un poème persifleur dans son émission.
Mais Trump dépasse tout le monde, y compris la classe politique allemande, jamais ménagée pourtant. Les grands événements – médiatisés à l’échelon national – qui ont jalonné ce qu’on appelle au bord du Rhin la « cinquième saison » sont gérés par des sociétés carnavalesques qui ne sont pas loin de faire partie elles-mêmes d’une sorte d’establishment du contre-pouvoir symbolique. Pas surprenant mais néanmoins remarquable aura été le souci de tous les pamphlétistes de condamner sans masque le parti populiste émergent AfD (Alternative für Deutschland) qui, après ses entrées récentes dans les Parlements régionaux, pourrait décrocher ses premiers sièges au Bundestag après les élections législatives du 24 septembre prochain.
L’affront aura été tout aussi direct pour Donald Trump. Les humoristes lui ont fait un procès de bêtise surprême, l’ont désigné comme clown raciste, érigé en master of desaster, disqualifié comme « le premier président américain élu par la Russie » et persiflé comme l’auteur de « quatre mensonges par jour », ceci sur la base de recherches du Washington Post. Selon Lars Reichow, à la prestigieuse soirée Mainz bleibt Mainz, il y avait 10 000 participants dans la salle et 4 milliards de téléspectateurs, sur foi des chiffres de l’Institut Trump. « Le monde est en grandes difficultés », avait dit le candidat républicain. « En pas moins de cinq semaines, le président a réalisé cette promesse électorale » a lancé encore ce carnavaliste.
La Belgique a été à l’honneur pour être cette « belle ville » connue de Trump qui, au demeurant, aurait cru longtemps que l’USB était le nom d’un pays voisin des USA.
A coeur joie donc contre l’inventeur du « trumpoline » dans les salles et les rues allemandes. Pourtant, une des caractéristiques des tonneaux de vérité est qu’ils rendent quelquefois à leurs occupants un sérieux quasi cérémoniel quand ils veulent distiller leur message au-delà de tout humour. Ce fut le cas du personnage de « Gulli » Gutenberg qui sévit et fait rire avec distinction depuis des décennies. Pour sa dernière apparition sur scène, à la grande soirée télévisée de Mayence, il s’est mis dans les sillons de l’inventeur de l’imprimerie et de son complice Luther – enfants du pays – pour fustiger tous les populismes et plaider vigoureusement pour « notre culture démocratique qui n’a aucune pareille ». Ovationné longuement avant de rejoindre sa statue et poursuivre, espère-t-il, les 72 années de paix et de liberté que connaît l’Europe, Hans-Peter Betz a encore osé lancer un appel bien courageux dans une telle assemblée en faveur de l’aide à toute personne en détresse, en concluant, fini de rire : » Si tout le monde était d’accord de partager ne fût-ce que la moitié de ce qu’on partage sur Facebook, il n’y aurait plus de misère en ce monde. »
Le carnaval peut être très sérieux, aussi.
Pierre Schöffers
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