Canicule : l’exceptionnel est devenu la norme
Le dérèglement climatique agit comme un catalyseur. Les vagues de chaleur, comme celle enregistrée en juillet, seront plus fréquentes, plus intenses, plus longues, plus précoces et plus tardives, prévient la climatologue Françoise Vimeux.
Le sud et l’ouest de l’Europe, jusqu’en Grande-Bretagne, ont été frappés par des températures extrêmes au cours du mois de juillet. Quel rôle joue le dérèglement climatique dans ce phénomène? Eléments de réponse avec Françoise Vimeux, climatologue, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, en France.
En quoi les températures enregistrées en France ont-elles un caractère inédit?
Cette vague de chaleur est du niveau des vagues les plus intenses que l’on a connues, celle de 2003 et les deux de 2019, avec la différence qu’elle a touché des territoires qui ne le sont pas d’habitude. La Bretagne, par exemple, a été placée en alerte rouge, ce qui n’était jamais arrivé, et a battu son record de température. Il avait été atteint à Brest en 1949 avec 35,2°C. En ce mois de juillet, on a avoisiné les 40°C…
Que la Grande-Bretagne ait aussi été affectée par de fortes chaleurs relève-t-il du même phénomène?
C’est la conséquence de la même configuration météorologique qui a touché le nord de la France, un anticyclone très fort qui a, en quelque sorte, appuyé sur les basses couches de l’atmosphère. Cette compression réchauffe comme une pompe à vélo: l’air est plus chaud quand il sort que quand il rentre. Des régions qui étaient peu touchées par des événements extrêmes le deviennent. En France, nous avons connu des canicules en 1976 ou en 1983 qui étaient, à l’époque, des événements extrêmes. Si nous les revivions aujourd’hui, elles seraient considérées comme banales. Quand je dis aux gens que la température de l’été 1976 est similaire à la température moyenne de nos étés au cours des dix dernières années, ils peinent à le croire. Ils ne réalisent pas que ce qui était exceptionnel est devenu la norme. En 2021, on a connu un été normal en France. On sortait de six années de suite où l’on avait eu des canicules. Or, le ressenti de la population était qu’il s’agissait d’un été frais. En fait, non. Je me rends compte que les ressentis sont parfois très éloignés de la réalité.
Si nous revivions aujourd’hui les canicules de 1976 et 1983, elles seraient considérées comme banales.» Françoise Vimeux, climatologue, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, en France.
Les violents incendies qui ont touché la Gironde sont-ils dus à la combinaison des fortes chaleurs, d’une sécheresse préexistante, d’un faible niveau d’hydrométrie, et des vents?
Il faut d’abord que le feu soit déclenché: 90% des feux le sont par l’activité humaine. Ensuite, il y a effectivement le contexte des températures très élevées et, surtout, d’une très grande sécheresse. Cela fait plusieurs mois qu’elle est installée en France. Depuis septembre 2021, nous faisons face à des déficits pluviométriques sur l’ensemble du territoire. Le trimestre avril-mai-juin 2022 a été le troisième le plus sec que l’on ait jamais connu depuis que l’on recense les données pluviométriques, c’est-à-dire 1959, avec un déficit de 45% par rapport à la normale. La première quinzaine de juillet a été la plus sèche jamais enregistrée en France. L’indice d’humidité des sols est vraiment au plus bas, quasiment au record de 1976. Cela signifie que les végétations et les sols sont très secs. Tout cela permet non seulement le maintien mais aussi la propagation des incendies. Les conditions couplées de températures élevées et de sécheresse font que les feux peuvent devenir catastrophiques. En Gironde, ils ont été aggravés par le vent. Il est important de mentionner que ce sont ces événements extrêmes composites de chaleur et de sécheresse que l’on s’attend à voir se multiplier dans le futur.
Les éléments constitutifs de ces événements sont-ils des illustrations évidentes du réchauffement climatique?
Quand on parle d’un événement extrême en particulier, il faut attendre les études d’attribution pour vraiment être sûr, de manière ferme, qu’il n’aurait pas pu se produire dans un climat non modifié par l’homme. Ce que l’on sait de manière générale, c’est que le changement climatique vient doper les événements extrêmes. Des événements extrêmes ont toujours existé. Mais le changement climatique agit comme un catalyseur, notamment en matière de fréquences. En France, on a enregistré 45 vagues de chaleur depuis 1947. Parmi elles, 21 ont eu lieu après 2010. Nous avons connu autant de vagues de chaleur depuis 2006 que durant les soixante années précédentes. Les vagues de chaleur sont aussi plus intenses. Chaque fois que l’atmosphère se réchauffe d’un degré, les températures maximales attendues, elles, se réchauffent de 1,5 à 3°C. Elles sont aussi plus longues. Avant 1989, on enregistrait annuellement un peu moins de deux jours de chaleur, en moyenne, en France. Aujourd’hui, on en dénombre cinq à dix. Les projections pour 2030 envisagent entre vingt et trente jours de forte chaleur par an. Voire davantage dans certaines villes. Enfin, ces vagues seront très probablement plus précoces et plus tardives. Plus précoces: on en a eu des exemples début juin et en 2019. Sur la deuxième vague de chaleur de 2019, en juillet, les études d’attribution ont montré qu’elle aurait été quasiment impossible dans un climat non modifié par l’homme. Même chose pour celle qu’a connue l’Inde en mars-avril de cette année: selon les études, elle a été rendue trente fois plus probable par le changement climatique. On a vraiment la trace de ce réchauffement global de notre atmosphère et de nos océans.
Peut-on affirmer que le dérèglement climatique produit déjà ses effets en Europe?
Oui. Déjà aujourd’hui, on peut attribuer de manière ferme au changement climatique beaucoup d’événements extrêmes en Europe avec un réchauffement global de 1,1°C, et un réchauffement en France de 1,7°C relativement à la fin du XIXe siècle. La stabilisation de la température, si on diminue tout de suite et de manière drastique nos émissions de gaz à effet de serre, prendra de vingt à trente ans. On imagine bien que même si on arrive à stabiliser la hausse de température globale à 1,5°C, nous serons encore confrontés à ces événements extrêmes dans les années à venir.
A l’aune de cette évolution, les efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ne sont-ils pas largement insuffisants?
La loi climat à l’echelon de l’Union européenne a un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici à 2030. Nous savons que pour limiter à 1,5°C la hausse de la température, il faut diminuer les émissions globales, pas seulement européennes, de 43%. On doit les réduire de 27% si on ne veut pas passer au-dessus de 2°C. Si je prends le cas de la France, que je connais bien, on a observé ces dernières années dans les secteurs émetteurs des diminutions des émissions de l’ordre d’un peu moins de 2% par an. En réalité, il faudrait que cela soit plus du double, 4,7% par an entre 2022 et 2030 pour respecter cet objectif européen. En France, depuis 1990, on a diminué nos émissions de 23%. Mais ces efforts ne sont pas à la hauteur de l’objectif attendu pour 2030.
La première quinzaine de juillet a été la plus sèche jamais enregistrée en France.
Dans l’intervalle, quelle forme d’adaptabilité à ces nouvelles conditions climatiques faut-il prévoir?
Les études scientifiques que le Giec a synthétisées l’énoncent très clairement: il faut mener de front l’adaptation, parce que notre climat continuera de changer dans les dix à vingt prochaines années à cause de son inertie quoi que nous fassions, et la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter les conséquences du changement climatique. A propos de l’adaptation, plusieurs points importants sont à envisager. D’abord, elle a besoin d’être pensée non pas à court mais à long terme. On voit déjà beaucoup d’efforts d’adaptation à l’échelon local. Mais généralement, ce sont des adaptations à très court terme. On observe aussi des «maladaptations». Ensuite, il y a la nécessité d’une organisation à l’échelle globale, pour des changements structurels, des mises en cohérence… Il relève du bon sens de faire différemment, de manière réfléchie, et en tenant compte de la vulnérabilité des territoires et de leur exposition aux risques. Tous les territoires n’y sont pas exposés de la même façon. Prenez les villes. Elles sont des îlots de chaleur où y vivre pendant l’été pourrait devenir insupportable pour leurs habitants si les canicules sont plus précoces, si elles surviennent au mois de juin au moment des examens scolaires et universitaires. Donc, il faut améliorer l’isolation thermique des bâtiments, entre autres.
Le contexte de la guerre en Ukraine peut-il être une opportunité ou plutôt un frein à la lutte pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre?
J’espère que c’est une opportunité pour réduire drastiquement l’utilisation des énergies fossiles. Pour tenir les objectifs, une réduction quasi totale de l’utilisation des énergies fossiles est nécessaire. On n’arrivera pas à la neutralité carbone en 2050 si on ne développe pas d’autres énergies: l’éolien, le solaire, les batteries au lithium, etc. Peut-être est-ce une opportunité involontaire de mettre en place des plans de sobriété, mais aussi de penser à une énergie produite différemment. Même si là, le temps qui nous est donné est très court.
Le contexte
Juillet dévastateur pour les forêts d’Europe. Près de 21 000 hectares en France, la même superficie en Espagne, des milliers d’hectares au Portugal et en Grèce… La combinaison de la canicule, l’absence de précipitations, une sécheresse préexistante et des vents violents a fait des ravages pendant la première partie de l’été 2022. Un phénomène qui touche de nouveaux territoires, notamment la Gironde et la Bretagne pour la France, et qui prolonge une tendance observée depuis janvier: 520 000 hectares de forêt ont été détruits sur le territoire de l’Union européenne. Un effet indéniable, selon les spécialistes, du réchauffement climatique.
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