Le Canada, société multiculturelle harmonieuse: une image révolue? © REUTERS

Pourquoi les routes de l’immigration se referment au Canada

Ludovic Hirtzmann Journaliste correspondant au Canada

Après avoir doublé l’immigration permanente sous son mandat, Justin Trudeau fait marche arrière, pressé par l’opinion, non sans avoir déséquilibré la société.

Au nord de Montréal, la circonscription de Justin Trudeau, Papineau, est l’une des plus multiethniques du pays. Africains, Haïtiens ou Latinos s’y retrouvent sur la grande artère piétonne du quartier de Rosemont –La-Petite-Patrie, qui pour s’y faire poser des cheveux postiches, qui pour manger des tacos. Si ce petit monde vit en bonne intelligence, sans trop se mélanger toutefois, cela cache mal le plus grand défi auquel fait face le Canada depuis l’arrivée au pouvoir du Premier ministre libéral en 2015: une crise migratoire.

Le thème de l’immigration est devenu obsessionnel dans l’opinion publique et les médias canadiens, alors qu’il ne l’a jamais été ces dernières décennies dans un pays où l’immigrant et le réfugié étaient les bienvenus. «Le legs de Justin Trudeau sera d’avoir détruit le consensus canadien sur l’immigration», a titré récemment le quotidien de référence The Globe and Mail. A moins d’un an de la fin de son mandat, pressé tant par la population que par les oppositions et parfois par son propre camp, le Premier ministre consent à diminuer le nombre d’immigrants. Son ami d’adolescence et également ministre de l’Immigration, Marc Miller, a reconnu à Radio-Canada: «Très franchement, on a pris un peu trop longtemps pour ralentir la machine [de l’immigration].»

Si le Canada se déchire sur la question des immigrants, c’est parce que leur nombre a quasiment doublé en dix ans, passant de 259.000 en 2013 à 465.000 en 2023. Il faut y ajouter plus de 2,8 millions d’immigrants temporaires, qu’il s’agisse de travailleurs ou d’étudiants étrangers. C’est principalement à cette immigration que le Canada va s’attaquer en réduisant le nombre de visas temporaires octroyés. Ottawa a, pendant des décennies, sélectionné son immigration en fonction de ses capacités d’intégration. Justin Trudeau, influencé par un think tank canadien anglophone, Initiative du Siècle, a décuplé l’immigration sans calculer si le pays a les moyens d’accueillir les nouveaux venus. Le think tank estime que «la croissance de la population canadienne est essentielle à la prospérité économique et l’influence sur la scène mondiale du pays. L’objectif est de porter la population du Canada à 100 millions de personnes d’ici à 2100» (contre 40 millions actuellement). Les Québécois estiment que le projet est purement politique et vise à faire disparaître le fait français en diluant la Belle Province dans un océan d’immigrants asiatiques.

«Il est impossible d’inviter 1,2 million de nouvelles personnes au Canada chaque année lorsqu’on bâtit 200.000 logements», s’est moqué le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, pressenti pour être le prochain Premier ministre et favorable à une réduction des cibles actuelles d’immigration. Sous pression, dépassés par la demande, les services publics ne répondent plus. Les prix des loyers se sont envolés. Les plus pauvres vivent parfois dans la rue. La crise migratoire a déstabilisé la vie des Canadiens et des nouveaux arrivants. Le Canada, longtemps abordable, est devenu une destination chère. Le chômage est reparti à la hausse. Il atteint 6,6%. Le patronat, lui, réclame à cor et à cri le maintien de la politique de Justin Trudeau sur les travailleurs saisonniers, une main-d’œuvre mal payée et corvéable à merci.

«Le legs de Justin Trudeau sera d’avoir détruit le consensus canadien sur l’immigration.»

Les Canadiens n’en veulent pas aux immigrants d’avoir choisi leur pays. Le racisme est peu présent dans la sphère publique. Les habitants reprochent à leurs dirigeants de ne pas avoir mesuré les conséquences de leurs choix, malgré les mises en garde d’observateurs depuis des années. «Trudeau va perdre les élections à cause de cela et ce ne sera pas une petite défaite», confie une journaliste de Radio-Canada. La plupart des experts estiment qu’il faudrait près d’une décennie pour construire suffisamment de logements pour loger la population actuelle.

Selon l’Institut national de statistique du Canada, Toronto compte 55% de minorités visibles et Vancouver 54%. Il faut «accroître la représentation des professeurs musulmans [dans les universités]», a affirmé, il y a quelques jours, la représentante spéciale de la lutte contre l’islamophobie, Amira Elghawaby. La déclaration de cette militante voilée, nommée par Justin Trudeau, et célèbre au Québec pour ses sorties récurrentes contre la laïcité québécoise, a soulevé un tollé dans la Belle Province, mais elle est symbolique de la politique du Premier ministre. Si Justin Trudeau a assuré qu’il diminuera l’immigration, les Canadiens sont sceptiques, tant le Premier ministre peine à reconnaître son erreur. Et The Globe and Mail de titrer: «Le gouvernement Trudeau règle le problème de l’immigration, aussi lentement qu’il le peut.»

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