Bertrand Vandeloise
Calais et la médiocrité politique
C’est en 2008 que j’ai été pour la première fois dans la fameuse « jungle » de Calais. Depuis, rien n’a changé ! Les migrants survivent toujours dans la boue avec le même rêve d’Angleterre; les politiciens sont toujours incapables de trouver des solutions humanistes et concrètes et se servent toujours de la problématique à des fins électorales, les CRS utilisent toujours la violence psychologique et physique pour chasser les migrants et les Calaisiens sont toujours pris en otage entre empathie et rejet.
La première fois que je découvre la situation des migrants de Calais, c’est avec des yeux intrigués et curieux, sans doute déjà engagé, mais pas encore révolté. C’est un matin d’hiver sous la pluie et la brise du nord; j’y arrive avec C. et G., connaissant parfaitement le terrain, qui m’accompagnent depuis la gare de Lille.
Durant l’heure de trajet qui sépare Lille de Calais, ils me dépeignent un portrait très sombre et me conseillent de ne faire confiance à personne, ni aux associations, ni aux journalistes et encore moins aux flics. Mais intérieurement, je tiens à découvrir la situation avec un oeil objectif et sans jugement malgré ce que j’ai pu voir, lire et entendre.
C. connaît bien l’endroit, il a vécu avec les migrants et écrit un bouquin « Tomorrow England »*. C’est donc assez simple d’entrer directement en contact avec les migrants sans devoir passer par une association (ces associations qui s’approprient souvent le droit de faire visiter ou pas, aux « journalistes » et « touristes » d’un jour).
À cette époque, la « jungle » comptait environ 800 personnes, en majorité des Afghans pachtouns et tadjiks, mais aussi quelques Hazaras, Soudanais, Érythréens et Iraniens.
Nous marchons dans le camp et devant chaque tente, de jeunes hommes nous proposent de nous asseoir pour discuter avec un verre de thé. Dans un premier temps, je suis intimidé et chamboulé par ce paysage glauque et ces dizaines de cabanes perdues dans la boue. On a du mal à croire que des gens puissent survivre de cette manière en France et au 21e siècle.
Mais ce qui m’interpelle le plus, après l’image insalubre du bidonville, c’est l’accueil ! Car OUI, malgré la détresse les migrants ont toujours été extrêmement accueillants avec moi.
C. m’emmène dans une cabane où je fais la rencontre d’un groupe de jeunes pachtouns. Ils vivent à cinq dans un abri composé de quelques palettes en bois, recouvert de couvertures et d’une grande bâche bleue. L’étroitesse de l’endroit et la chaleur des corps collés les uns aux autres les maintiennent au chaud pendant les fraîches nuits du littoral.
Le plus âgé, Moktar, a 16 ans et Ahmad, le benjamin, a 13 ans. Leur histoire est commune, ils sont partis seuls d’un pays en guerre, sans possibilité d’avenir, pour se rapprocher de l’Angleterre et devenir des hommes. Au fil de mes visites à Calais, nous tissons des liens et devenons proches, ce qui nous cause des problèmes avec des passeurs ne voyant pas cette amitié d’un bon oeil (Moktar vit aujourd’hui à Anvers et Ahmad à Stockholm).
Le premier soir, c’est avec les larmes aux yeux que je reprends la route vers mon plat pays, mais pourtant, je n’ai encore presque rien vu. C’est une semaine plus tard que je découvre l’extrême violence du gouvernement, dont je suis témoin pendant des années, à l’égard des migrants !
Les agressions à répétition des CRS, parfois d’une brutalité sans limites, détruisant des cabanes (reconstruites dans la journée), arrêtant de jeunes migrants pour les relâcher à une dizaine de kilomètres sans chaussures, attaquant des distributions de nourriture et créant un sentiment de guérilla urbaine dans une partie de Calais, mais surtout de la peur et de l’hostilité chez les jeunes migrants.
Le plus dingue, c’est que je me rends rapidement à l’évidence que la seule réponse des politiciens est « la politique du pourrissement ».
Je m’explique: à force de destruction, de violence physique et psychologique, l’idée des politiciens est de décourager les migrants, non pas à passer en Angleterre, mais de les décourager de séjourner sur la côte calaisienne. Et ce peu importe qu’ils s’éparpillent tout le long de la côte, qu’ils remontent vers le sud ou descendent vers la Belgique. L’important pour eux est de donner l’impression que leur nombre diminue.
Ce qui ne fut presque jamais le cas ces 15 dernières années ! C’est comme ça que Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, justifia la fermeture de Sangatte en 2002, qu’Éric Besson ordonna la destruction de la « jungle » en 2009 et ainsi que Cazeneuve le fit en 2014 (prétextant aussi une épidémie de gale).
Et des années plus tard, la préoccupation de la classe politique française est toujours la même ; donner l’impression que les migrants sont moins présents et que la politique du gouvernement en fonction est la bonne.
Pourtant, les personnes qui connaissent la situation sur place savent que les migrants chassés reviennent aussitôt, et qu’un camp détruit se reconstruit rapidement quelques centaines de mètres plus loin.
À Calais, les migrants sont chassés par la u0022politique du pourrissementu0022, mais pas les passeurs.
De plus, l’image que la plupart donnent du migrant est fausse et désastreuse, on en oublie presque qu’ils sont victimes et que ce sont eux qui, ayant tout perdu, doivent survivre dans la boue. J’hallucine !
La presse, elle, se contente de relayer les déclarations ministérielles et aborde parfois le sujet sous forme de fait divers ressemblant à ceci : « Mort d’un migrant qui tentait de traverser » ou encore » Les migrants ont caillassé un camion et provoqué un énorme embouteillage ».
Cependant, rares sont les articles de fond, je ne lis jamais d’interrogations sur les accords possibles entre la France et l’Angleterre ou sur la perspicacité des solutions proposées par les politiques.
En 2010, quand j’assiste à la destruction de la « jungle » sous ordre du ministre de l’Immigration de l’époque, Éric Besson, je suis sidéré. J’entends ce ministre expliquer aux JT de TF1 et France 2 que les migrants ne sont pas la cible ; selon lui, il est question de détruire les réseaux de passeurs, et la police travaille activement pour démanteler ces « mafias ». Tandis que moi, avec mes petits moyens de jeune photographe, je croise chaque jour des passeurs, souvent violents avec les migrants et force est de constater que presque aucun d’entre eux n’est visé.
Je vais même aller plus loin dans mon propos : les migrants sont visés, mais pas les passeurs ! Le seul véritable moyen pour qu’un migrant quitte à jamais Calais, c’est qu’il parte en Angleterre, mais pour traverser la Manche, il faut l’aide des passeurs… Vous me suivez ?
À aucun moment depuis 2009 je n’ai eu le sentiment que la situation évolue pour un mieux, jamais je ne vois un politicien prendre ses responsabilités et se pencher sur la situation pour chercher une solution digne et humaine, pour proposer une piste de cohabitation entre Calaisiens et réfugiés ou chercher un accord avec l’Angleterre. En 2015, un nouveau centre d’accueil a bien été construit au milieu de la jungle, mais avec des règles tellement strictes qu’aucun migrant ne souhaite y séjourner.
Ces dernières années, Calais devient même sujet de campagne électorale, « the place to be », non pas pour savoir qui trouvera la solution la plus humaniste, mais pour savoir qui « détruira » et « éradiquera » le problème calaisien. La médiocrité politique !
Détruire un camp de migrant comme celui de Calais, ce n’est pas seulement détruire un abri, car en quelques semaines, le camp s’organise. Un coiffeur improvise un salon, un marchand ouvre une petite boutique. On construit une église et une mosquée avec des palettes de bois. Certains jouent au cricket, d’autres font la file devant chez le coiffeur. Il y a une odeur de Noni Afghani (pain afghan) dans les ruelles du camp, et un feu sert d’endroit de rencontre… Une vie en société renaît et la solidarité se met en place !
Détruire un camp de réfugiés, c’est détruire la vie !
Pourtant, juste à côté, à quelques kilomètres au Nord, le maire de Grande-Synthe organise les choses différemment. Certes, il y a encore tant de choses à mettre en place pour que les migrants séjournent dans de meilleures conditions, mais au moins, là-bas, ils ne dorment plus dans la boue, les femmes sont en sécurité et les enfants encadrés.
En 2016, je vais encore régulièrement à Calais et j’attends avec impatience une solution qui répondra avec humanité aux attentes des migrants et des Calaisiens. Mais en ce mois d’octobre 2016, les élections françaises arrivant à grands pas, le gouvernement Hollande vient de prendre la décision de détruire une « xième fois » l’entièreté du bidonville calaisien… L’histoire continue décidément!
* Tomorrow England – Edition les points sur les i – 2008
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