Thierry Bellefroid
Bridget Driscoll, la première piétonne à mourir dans un accident de la route
Chère Bridget Driscoll, comme il doit être troublant d’être entrée dans l’histoire par la mauvaise porte. Votre célébrité, vous la devez à la dernière minute de votre existence, le 17 août 1896. Il faut reconnaître que votre mort ne fut pas banale, Bridget. Vous fûtes en effet la première piétonne à mourir dans un accident de la circulation.
Vous étiez de sortie à Londres, avec votre fille et une amie. Vous traversiez la rue, insouciante, gaie peut-être. Aux dires des uns, le véhicule qui vous percuta roulait à un train d’enfer. Aux dires des autres, il dépassait de peu les 6 km/h. Il paraît que le conducteur a klaxonné et vous a apostrophée. On dit que vous êtes restée sur place, incapable de réaction comme un lapin pris dans la lumière des phares. Quoi qu’il en soit, je me demande bien ce que vous pensez, cent vingt-deux ans plus tard, de notre manière de rouler.
A cause de vous, Bridget, le législateur n’a cessé de prendre des mesures de plus en plus contraignantes. Il est vrai que plus de 600 personnes perdent la vie chaque année sur les routes belges. Les attentats, quels qu’ils soient, n’arrivent pas à la cheville de cette violence quotidienne presque invisible. Dernière mesure contraignante : le durcissement de l’épreuve du permis théorique à Bruxelles, qui s’est alignée sur la Flandre et la Wallonie. Quand on voit rouler certaines personnes, on se dit qu’elles oublient bien vite le code qu’elles ont dû assimiler pour cette épreuve. Et que, peut-être, ne permettre qu’une faute grave lors de l’examen permettra de s’en souvenir une fois le volant entre les mains. En même temps, à votre époque, le permis n’existait pas… Ça n’a rien empêché.
Peut-être le savez-vous, chère Bridget, la route est la première cause de mortalité au travail ! En France, 463 personnes perdent la vie au volant d’un véhicule de fonction chaque année. Nos voisins ont d’ailleurs changé la loi, obligeant les patrons à dénoncer leurs salariés responsables d’infractions, ce qui aurait fait baisser celles-ci de pas loin de 10 % en une année à peine.
Voilà un problème que ne connaissent pas les Vénitiens, me direz-vous. Enfin une ville où le piéton est roi ! Encore que. A Venise, aux alentours du 1er mai, ont fleuri des itinéraires obligatoires vers la place Saint-Marc. Ici, la circulation automobile n’est pas en cause – encore que l’accès au pont de la Liberté reliant Mestre à la ville est désormais sévèrement réglementé, lui aussi – mais c’est la survie de la Sérénissime qui est en jeu. En juillet dernier, l’Unesco a donné deux ans aux autorités de la Cité des doges pour y réguler le tourisme. Sans quoi, elle sortira du classement au Patrimoine mondial.
Eh oui, rien n’est éternel, Bridget. Vous-même, lors de votre célèbre accident, vous vous trouviez sur la grande terrasse devant le Crystal Palace, sans doute l’un des monuments de fer et de verre parmi les plus fabuleux du monde. Il n’en reste rien. Tout bénéfice pour les serres royales de Laeken – mais on s’éloigne de la sécurité routière. A propos de sécurité routière, je me demandais si, là où vous êtes, vous aviez croisé le légiste qui vous a examinée – le coroner, comme on l’appelle chez vous. En voilà un qui n’avait pas le don de voyance ! Après s’être penché sur votre cas, il avait déclaré espérer que vous seriez la dernière victime de ce type d’accident.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici