Birmanie: la possibilité d’une guerre civile
Face à la brutalité de la répression militaire, certains groupes armés des minorités ethniques pourraient conjuguer leurs efforts avec le mouvement démocratique du « pays birman » pour contrer la volonté de la junte. Une perspective qui n’est pas sans danger.
Le contexte
« La cruauté des militaires est trop grave et de nombreuses organisations armées ethniques manifestent clairement leur opposition, renforçant le risque de guerre civile à un niveau sans précédent », a déclaré, lors d’une réunion du Conseil de sécurité le mercredi 31 mars, l’émissaire des Nations unies en Birmanie, où la répression des manifestations prodémocratie a fait plus de 550 morts. Les jours et les semaines à venir seront cruciaux pour l’avenir du pays, théâtre d’une tentative de putsch le 1er février. Deux mois plus tard, force est de reconnaître, avec Barthélémy Courmont, professeur à l’université catholique de Lille, que « le coup d’Etat n’a pas encore réussi ».
Deux mois après le coup d’Etat militaire qui a mis fin à la démocratisation en Birmanie, aucune sortie de crise ne se dessine. Au contraire. Plus de 550 militants démocrates ont été tués à la suite de la répression exercée par le régime dirigé par le général Min Aung Hlaing. Et l’émissaire de l’ONU, la Suisse Christine Schraner Burgener, a évoqué le risque d’une « guerre civile » lors d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies le 31 mars.
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Ce spectre se fonde sur une possible alliance entre le mouvement populaire, animé par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) de la dirigeante Aung San Suu Kyi, et les groupes ethniques. La Birmanie est une mosaïque de communautés. L’indépendance du pays en 1948 a soulevé l’opposition de certaines d’entre elles, minoritaires. Des conflits armés les ont opposées aux régimes militaires au pouvoir entre 1962 et 2011. Avec l’ouverture à partir de la décennie 2010 et l’accession au gouvernement de la LND, un accord de paix a pu être signé le 15 octobre 2015 avec quelques groupes. Il n’a pas été suivi d’une démilitarisation. Résultat: les armes dont disposent les minorités pourraient militariser le mouvement de protestation et, face à la poursuite de la répression, engager le pays sur la voie de la guerre civile.
L’échec de la stratégie des militaires à l’égard des minorités ethniques peut constituer un véritable tournant.
Un soutien recherché
« L’échec de la stratégie des militaires à l’égard des minorités ethniques peut constituer un véritable tournant, souligne Barthélémy Courmont, spécialiste de la Birmanie et professeur à l’université catholique de Lille. Au moment du coup d’Etat, ils ont incriminé la Ligue nationale de la démocratie, qui est essentiellement bamar, l’ethnie majoritaire, même si elle est très représentée à l’échelle du pays, et ils ont tout de suite tendu la main aux partis ethniques en leur proposant notamment des ministères. Le seul qui a accepté a été le parti de l’Arakhan, région où habitent les Rohingyas. Tous ceux qui représentent les plus grandes minorités et ont mené des guerres contre les juntes précédentes, les Karens, les Chins, les Kachins, ont refusé le deal et ont rallié les manifestants prodémocratie. » C’est ce rapprochement qui pourrait aboutir à l’acheminement d’armes vers les villes du « pays birman » où se concentrent les manifestations des opposants au coup d’Etat du 1er février. « Si les militaires s’entêtent, comme cela semble en prendre le chemin au vu de la liste des chefs d’accusation retenus contre Aung San Suu Kyi, nous sommes à la veille d’une guerre civile », redoute Barthélémy Courmont. La convergence d’intérêts entre la Ligue nationale pour la démocratie et les groupes ethniques est aussi observée par Jean-François Rancourt, politologue au Centre d’études asiatiques de l’université de Montréal. L’actualité en atteste, selon lui. Une tension militaire croissante entre l’armée et les rébellions qui s’est traduite notamment par des affrontements dans l’Etat Kachin, faisant une vingtaine de morts du côté de l’armée. Et le refuge trouvé dans l’Etat Karen par des manifestants ayant fui la répression dans les villes.
Néanmoins, le scénario d’une guerre civile est encore suspendu à l’attitude de la junte militaire. L’intensification de la répression – 107 personnes tuées pour la seule journée du 27 mars – suggère à ce stade qu’elle est peu sensible à l’installation de la contestation dans la durée et à la réprobation internationale. Les regards se tournent dès lors vers la Chine, censée, au titre de principale alliée de la Birmanie avec la Russie, pouvoir faire pression sur ses nouveaux dirigeants.
La Chine incontournable
Dans le triptyque actuel de la situation en Birmanie, la répression des manifestations, les sanctions contre la junte et un possible front uni entre le mouvement démocratique et les groupes ethniques, la Chine est « un acteur incontournable », décrypte Jean-François Rancourt. « Lorsque des usines chinoises ont été incendiées par les opposants à la junte dans certains quartiers de la banlieue industrielle de Rangoun, Pékin a fait pression sur celle-ci pour qu’elle amplifie la répression et la loi martiale y a été décrétée. La Chine bloque toute sanction internationale contre la junte au niveau du Conseil de sécurité des Nations unies. Enfin, elle a aussi des moyens d’influence pour favoriser ou empêcher les accords avec les groupes ethniques, analyse le politologue de l’université de Montréal. Le régime chinois est le patron de certains d’entre eux. Il en va ainsi de la minorité des Was, qui vit dans une zone reconnue comme autonome par le gouvernement central birman. Dans celle-ci, la langue parlée, la monnaie, les réseaux téléphoniques sont chinois. Or, les Was disposent d’une armée qui est estimée entre 20 000 et 30 000 soldats, ce qui fait dire qu’elle est la plus grande armée non étatique au monde. Si la Chine donnait un feu vert à son ralliement à la contestation démocratique, la junte militaire se retrouverait confrontée à une opposition armée beaucoup plus puissante. »
La Chine ne serait donc pas nécessairement un allié inconditionnel et éternel des militaires birmans. Barthélémy Courmont confirme ce constat. « Pékin s’inquiète beaucoup de la paralysie de l’activité dans ce pays très important pour l’économie chinoise, notamment en raison des voies d’accès qu’il lui procure sur l’océan Indien. » Si l’instabilité devait y perdurer, elle nuirait à ses intérêts. « Et puis, le nouvel homme fort du régime, le général Min Aung Hlaing, n’a pas bonne presse chez son grand voisin. Il s’est rendu coupable d’exactions contre les Rohingyas, de confession musulmane, mais aussi contre d’autres minorités vivant dans le nord de la Birmanie, frontalier avec la Chine, dont certaines ont des liens étroits avec Pékin. Il part donc avec un passif. Les dirigeants chinois reprochent aux auteurs du coup d’Etat du 1er février de fragiliser leurs intérêts. Et pas seulement économiques. Pour preuve, un mouvement de sinophobie visant tous les ressortissants chinois se développe de manière inquiétante. Je fais partie de ceux qui estiment que Pékin a le pouvoir – qui pourrait se concrétiser – de contraindre les militaires à faire preuve d’ouverture et donc à inverser la tendance ou alors de les lâcher totalement s’ils s’entêtent dans la voie actuelle. »
Pékin a le pouvoir de contraindre les militaires à faire preuve d’ouverture et inverser la tendance ou de les lâcher totalement.
La conjonction de plusieurs paramètres pourrait in fine modifier une conjoncture politico-sécuritaire qui paraît aujourd’hui bouchée. A une contestation qui ne faiblit pas ou peu, à la crainte de réveiller le démon de la guerre civile avec les minorités ethniques, à un soutien réversible de la Chine s’ajoutent, dans une moindre mesure mais tout de même, les sanctions des grandes puissances, Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Union européenne. Elles ont eu l’intelligence de cibler deux conglomérats économiques dirigés peu ou prou par les militaires au pouvoir. Elles frappent donc au portefeuille des dirigeants qui ont un souci certain de leurs propres intérêts. De quoi faire un peu plus réfléchir?
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