Thierry Bellefroid
« Benjamin Franklin aurait dû servir de conseiller fiscal à Jeff Bezos »
Cher Benjamin Franklin, l’histoire est cruelle, ne trouvez-vous pas ? De vous, elle n’a retenu, ou presque, que l’invention du paratonnerre. Pas si mal, le paratonnerre : ces temps-ci, le ministre bruxellois de la Mobilité, Pascal Smet, en aurait bien besoin, lui qui se prend à la fois les foudres des chauffeurs de taxis et de son ministre-président.
Vous réduire à cette invention, c’est pourtant méconnaître les autres visages de votre brillant génie. Certes, vous vous cachâtes derrière un pseudonyme, celui de Richard Saunders, et derrière un personnage fictif, le Bonhomme Richard, pour publier durant plus de vingt-cinq ans un almanach qui fit votre fortune. Mais aujourd’hui, plus personne n’ignore que vous êtes l’inventeur de quelques-unes des phrases les plus définitives de la pensée américaine – même si beaucoup de vos proverbes et maximes proviennent de Rabelais, Swift ou La Rochefoucauld. Ma préférée ? » Pour que trois hommes gardent un secret, il faut que deux d’entre eux soient morts. » Elle me fait penser à ce fameux Sergueï Skripal et à sa fille, retrouvés mourants sur un banc de Salisbury et à l’origine malgré eux d’une intense guerre diplomatique entre Russes et Atlantistes.
Vous êtes un cas, mon cher Benji : votre milieu familial ne laissait pas entrevoir votre destin. Vous naquîtes à Boston, en 1706, d’un père vendeur de suif et de chandelles, pour mourir 84 ans plus tard à Philadelphie. Entre-temps, vous alliez faire fortune dans l’édition, participer à la déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique, fonder le premier corps de sapeurs-pompiers de Philadelphie, cartographier le Gulf Stream, inventer les lunettes à double foyer, le paratonnerre et la cloche de Franklin, occuper des postes diplomatiques dont celui d’ambassadeur en France – et j’en passe. Votre CV pourrait rendre jaloux un type aussi talentueux que Kris Peeters, bien décidé à ajouter une ligne anversoise au sien.
Mais, revenons à vos maximes. L’almanach du Bonhomme Richard, ou du Pauvre Richard, ce sont vingt-cinq années de bon sens à la portée de tous. Vos obsessions ? L’épargne, la frugalité, la prévoyance. Chez La Fontaine, vous auriez fini fourmi plutôt que cigale. Chez nous, vous seriez plutôt Michel que Magnette. Encore que. Vous n’êtes pas du genre à vous laisser enfermer aussi facilement dans une catégorie ou une autre. Vous jugeant suffisamment riche, vous aviez choisi de placer toutes vos inventions dans le domaine public, afin qu’elles profitent au plus grand nombre. Vous connaissez Jeff Bezos, le patron d’Amazon ? C’est un de vos concitoyens. N’hésitez pas à lui servir de conseiller fiscal !
» Plus la cuisine est grasse, plus le testament est maigre « , disait ce bon vieux Bonhomme Richard sous votre plume. Voilà qui éclaire différemment l’affaire Hallyday ! D’autant qu’il ajoutait, dans un moment de grande lucidité : » Bien des fortunes se dissipent en même temps qu’on les gagne » ou encore : » Le pauvre a peu, le mendiant n’a rien, le riche a trop et nul n’a assez. » Mais de vous, je retiendrai surtout cette phrase qui me semble caractériser notre monde d’aujourd’hui mieux que toutes les autres : » Grande famine quand les loups mangent les loups. »
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