« Avec ses propos, Donald Trump mine directement la crédibilité de la dissuasion de l’Otan » (entretien)
En suggérant que, sous sa présidence, les Etats-Unis encourageraient les Russes à s’en prendre à un allié mauvais payeur, le candidat républicain a franchi un pas de plus. Piqués au vif, les Européens doivent aussi apprendre à mieux s’organiser.
«Vous n’avez pas payé? Vous êtes de mauvais payeurs? Non, je ne vous protégerais pas. En fait, j’encouragerais [les Russes] à faire ce que bon leur semble.» En suggérant, le 10 février, lors d’un meeting électoral en Caroline du Sud où se tient la prochaine primaire du Parti républicain, que, lui président, ne porterait pas assistance à un pays membre de l’Otan attaqué par la Russie si celui-ci ne respectait pas l’engagement de consacrer 2% de son budget à la défense, Donald Trump a consterné les alliés des Etats-Unis. Il romprait ainsi avec un des principes centraux de la charte de l’Alliance atlantique, son article 5, qui impose la solidarité avec un Etat membre agressé. Péripétie électoraliste ou engagement programmatique? Eléments de réponse avec Sven Biscop, professeur à l’UGent.
Si le prix de cette incitation contribue à affaiblir la crédibilité de l’Otan, ça ne sert pas à grand-chose.
Comment interprétez-vous la déclaration de Donald Trump sur l’Otan et la menace de la Russie?
Même quand on pense que son propos ne peut être plus insensé, Donald Trump arrive malgré tout à franchir une étape supplémentaire. Il avait déjà affirmé par le passé que, sous sa présidence, les Etats-Unis ne viendraient pas à l’aide d’Etats qui n’ont pas contribué assez au budget de l’Otan. Mais dire qu’il encouragera activement la Russie à les attaquer, c’est aller un cran beaucoup, beaucoup plus loin. L’ancien président américain formule cette intention très consciemment. Cela signifie qu’il pense que ce genre de déclaration lui attirera de l’attention et des votes en vue de l’élection présidentielle du 5 novembre prochain. Et cela fonctionne. Tout le monde en parle. Tout le monde se sent obligé de réagir. Donald Trump crée l’agenda de la campagne. Le grand problème est que ses propos sont aussi écoutés en Russie. De la sorte, il mine directement la crédibilité de la dissuasion de l’Otan. Celle-ci se fonde sur un appareil de défense solide mais aussi sur la communication. Si le potentiel futur président américain agit dans le sens contraire, cela nuit clairement à l’alliance.
L’avertissement peut-il être utile dans la mesure où il rappelle que beaucoup de pays de l’Otan ne respectent pas leur engagement de consacrer 2% de leur budget à la défense?
C’est clair. Mais si le prix de cette incitation à en faire plus contribue à affaiblir la crédibilité de l’Alliance atlantique, cela ne sert pas à grand-chose. Donald Trump a raison. Certains pays doivent consacrer davantage à la défense. Mais la question n’est pas seulement de dépenser plus et d’avoir plus de capacités. Elle est aussi de disposer de capacités pour rendre les Européens plus autonomes. Si on additionne les forces armées de tous les pays européens, on n’aura pas pour autant une infrastructure militaire complète. Il existe des domaines importants dans lesquels les Européens n’ont rien, ou presque rien. Résultat: on a besoin d’insérer des capacités américaines pour que nos propres forces soient opérationnelles. C’est cela qui n’est plus acceptable. On ne doit pas seulement faire plus mais on doit aussi s’organiser pour que les forces européennes, en soi, disposent d’un package complet de moyens, opérationnel dans tous les scénarios, y compris celui où pas un seul Américain n’interviendrait.
Quels sont les domaines où les moyens européens sont largement insuffisants?
Il y a tout ce qui est lié au renseignement, l’infrastructure satellitaire, la technologie, les grandes plateformes… L’Europe est très limitée. Pour monter une opération, elle a besoin du concours des Américains. Il y a aussi ce qui a trait au transport stratégique, dans le domaine aérien pour les longues distances. Il y a enfin les capacités militaires offensives. La faculté des Européens de tirer dans la profondeur est réduite.
Les pays de l’Otan les plus exposés à la menace russe, notamment la Pologne et les pays Baltes, remplissent le critère des 2% de budget. N’est-ce pas un peu ridicule d’agiter cette menace de non-assistance en cas de conflit quand on sait que cela n’affecterait pas les Etats les plus concernés?
Les pays qui partagent une frontière avec la Russie ou avec son allié, le Bélarus, sont alertés de ce danger depuis longtemps. Néanmoins, l’Otan est un tout. Une fois que l’on commence à distinguer les pays et à évaluer l’aide qu’on leur apportera en fonction de certains critères, cela mine la cohésion de l’ensemble de l’alliance. L’Otan ne ne tiendra pas si un pays comme les Etats-Unis fait son shopping en matière d’assistance. Soutenir la Pologne, oui. Mais pas la Belgique? C’est tous les pays ou aucun qui doivent être aidés quand on fait partie d’une alliance comme l’Otan.
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