Sébastien Boussois
Avec la mort du général Gaïd Salah, Mohamed Ben Zayed perd l’Algérie
Moins de deux semaines après une présidentielle qui a porté l’ancien premier Ministre Abdelmadjdid Tebboune au pouvoir, le pilier du régime algérien le puissant Ahmed Gaïd Salah a rendu les armes dans la nuit du 22 décembre 2019. Au pouvoir depuis des décennies, il était jusque hier le principal frein à une évolution constructive de la démocratie dans le pays qui puisse voir le Hirak parvenir à ses fins.
Ce scénario n’avait même pas été envisagé par les Algériens eux-mêmes, surtout lorsque l’on voit la résistance des leaders du pays comme Bouteflika, et même si l’on savait que Salah avait 84 ans. Il n’a pas non plus été anticipé par le principal parrain de ce dernier, le dirigeant des Emirats Arabes Unis, Mohamed Ben Zayed, avec qui il était en contact permanent. Le but de MBZ était de maintenir l’armée en l’état dans le pays afin d’éviter tout risque de déstabilisation mais aussi d’ouverture aux revendications du peuple. Les choses se compliquent-elles pour le dirigeant Emirati qui rêve de son nouveau Grand Moyen-Orient à lui ?
Alors que le militaire algérien ne cachait même plus ses nombreux allers-retours à Abu Dhabi, son parrain le soutenait dans ce qu’on appelle communément désormais la quête d’une stabilité autoritaire pour la région. L’argument du rejet de la démocratie au nom du calme et en brandissant le risque de nouvelle guerre, c’est du MBZ puissance dix.
Beaucoup conviennent en Algérie qu’après plusieurs mois de manifestations, le pays est parvenu à obtenir sa seconde indépendance avec le départ de Bouteflika. Après s’être libéré de l’occupant extérieur en 1962, la population algérienne parvenait pacifiquement à se libérer de son dirigeant maintenu au pouvoir pendant très exactement 20 ans. Durant toutes ces semaines, la France est restée très discrète, après des années de relations en accordéon avec Alger, pour finalement saluer le succès de ce que l’on appelle de plus en plus une « révolution du sourire » dans le pays, huit ans après celle de son petit voisin tunisien devenu un modèle pour tout le monde arabe en 2011. Il est vrai que pendant des décennies, ce sont les Algériens qui ont été acclamés de par le monde pour leur combat entre 1954 et 1962 afin de bouter les Français hors de leur pays. Auréolés de prestige, ils étaient le symbole de la nécessaire lutte d’un peuple pour ses droits fondamentaux et sa liberté à l’égard de toute puissance coloniale. Au moment des « Printemps » dit-arabes, la région entière a été secouée sauf…l’Algérie. Au nom d’un impératif sécuritaire brandi par le pouvoir décadent et déliquescent pour empêcher les Algériens de s’exprimer et leur répéter jusqu’à plus soif qu’il y avait déjà eu un « Printemps algérien » qui avait mal tourné en octobre 1988.
En effet, alors que certains complotistes cherchent toujours à voir la main de la France sur les affaires algériennes dès qu’il y a un bouleversement « suspect » des équilibres intérieurs, on oublie souvent d’attirer l’oeil sur la manière dont certains pays arabes eux-mêmes ont cherché à influencer le destin de leurs semblables. Les « Printemps » dit-arabes n’ont pas fait que des heureux et l’on a vu se confronter dès 2011 deux visions géopolitiques du devenir du monde arabo-musulman: d’un côté, des régions du Maghreb et du Machrek ouvertes au processus de démocratisation intégrant les islamistes comme toutes les autres forces d’opposition comme une composante normale ; de l’autre une vision sécuritaire et un soutien au retour à l’ordre militaire et politique comme les Émirats Arabes Unis l’ont fait. Aujourd’hui, EAU et Arabie Saoudite cherchent à garder la main sur l’ensemble de leur zone d’influence en soutenant les militaires à commencer par le plus grand pays d’Afrique : l’Algérie. Et Gaïd Salah était le garant de ce succès, malgré son histoire, malgré son âge, malgré son côté hors du temps pour les Algériens.
Que vont faire les Emirats si ce n’est tenter d’influer pour garder la main au sein de l’armée algérienne ? Ils ne sont certainement pas prêts à soutenir une révolution démocratisante qui affaiblirait selon eux les structures et la sécurité et du pays et de l’ensemble de l’espace régional ; mais pousserait aussi les islamistes (entendez Frères musulmans et compagnie) de toute évidence à jouer un rôle. Les populations en l’était n’auraient pas vraiment droit de cité. Il faudra scruter de près les actions du président Tebboune dans les semaines à venir pour mesurer son véritable pouvoir, son réel degré de décision. Mais il semble bien encore que tout continue à se jouer de l’extérieur pour le moment. Or, le tiraillement se fera avec le peuple avant tout : l’Algérie doit redevenir au plus vite ce modèle de libération nationale tant jalousé dans les années 1960 : les prochaines manifestations suite à la Présidentielle de 2018 et la mort de Salah en diront long sur les suites possibles et ce à quoi peuvent être prêtes les forces extérieures pour parvenir à imposer leur volonté au pays. Les Algériens ont-ils fait le plus dur ? Pas sûr.
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