Avant un hommage à son père, mise en garde et espoirs d’Ahmad Massoud pour l’Afghanistan
Près de 20 ans après l’assassinat du légendaire commandant Massoud, son fils est « très inquiet » de la situation en Afghanistan et prévient qu’il se battra aux côtés de la population si les talibans ne respectent pas leurs engagements à l’issue des pourparlers de paix.
Profil rehaussé d’un « pakol », ce chapeau de laine traditionnel, regard pétillant, sourire franc et courte barbe, la ressemblance d’Ahmad Massoud avec son père est flagrante, mise à part des traits plus arrondis que le visage en lame de couteau devenu iconique de son père.
Vingt ans après lui, qui avait effectué fin mars 2001 en France son unique visite en Occident, Ahmad Massoud, 31 ans, est à Paris pour assister samedi à l’inauguration d’une allée des jardins des Champs-Elysées au nom du charismatique commandant d’ethnie tadjike.
Paris souhaite « honorer ce combattant pour la paix qui lutta pour la liberté de l’Afghanistan et contre l’obscurantisme ».
« L’héritage de mon père, vous l’avez devant vous: vingt ans après, un pays comme la France chérit et se souvient de ses actions et de son combat. Son héritage, qui a dépassé les frontières afghanes, sera toujours vivant tant que la liberté, l’humanité et la justice seront vivantes », lance lors d’un entretien avec l’AFP M. Massoud.
Ahmad Shah Massoud a mené en Afghanistan la résistance contre l’occupant soviétique dans les années 1980, puis contre les talibans à l’époque où ceux-ci dirigeaient l’Afghanistan, de 1996 à 2001.
Il a été tué par Al-Qaïda deux jours avant les attentats du 11 septembre 2001, qui ont amené Washington à lancer une vaste opération militaire en Afghanistan, chassant les talibans du pouvoir.
Assassinats ciblés
La France avait tissé des liens étroits avec Massoud – qui a étudié au lycée français de Kaboul – et qui incarnait aux yeux de l’Occident un islam modéré.
Le commandant Massoud a été élevé en 2019 au rang de héros national en Afghanistan par décret présidentiel, même si les troupes du « Lion du Panjshir » ont aussi laissé des souvenirs mitigés aux habitants de Kaboul, piégés au début des années 90 dans les combats entre moudjahidines rivaux.
Ahmad Massoud vit depuis son retour au pays en 2016 entre la vallée du Panjshir, berceau de sa famille, et Kaboul, malgré les menaces pour sa sécurité.
Outre la Fondation Massoud qui mène des programmes pour la paix, il est depuis deux ans à la tête d’un mouvement politique, le « Front pour la résistance » qui vise à unifier « ceux qui veulent changer le système politique » qui est « corruptible » et « très fragile ».
Il plaide pour une « décentralisation », pour plus de « justice sociale » et d' »unité nationale ». Son mouvement fédère des partisans dans plusieurs provinces du nord de l’Afghanistan, dit-il.
Le président afghan Ashraf Ghani entend proposer la tenue d’une nouvelle élection présidentielle dans les six prochains mois, a-t-on appris mercredi, une hypothèse immédiatement rejetée par les talibans.
Interrogé à ce sujet, Ahmad Massoud se dit prêt à participer à un prochain scrutin présidentiel mais organisé par un « gouvernement intérimaire » et non par celui de M. Ghani.
Personnalité avenante, Ahmad Massoud – qui a passé plusieurs années en exil en Iran avec sa mère et ses cinq soeurs après la mort de son père puis en Angleterre pour ses études – cite volontiers le poète persan Saadi ou parle de ses joies d’observer la Voie lactée dans le Panjshir.
Mais il durcit le ton en évoquant les souffrances dans son pays où les violences se sont intensifiées malgré l’ouverture en septembre à Doha de pourparlers de paix entre le gouvernement et les talibans. L’autorité du gouvernement en place est contestée ou mise à mal sur plus de la moitié du territoire.
Les assassinats ciblés de journalistes, juges, médecins, personnalités politiques ou religieuses, et défenseurs des droits, sont de plus en plus fréquents.
« Depuis le tout début, j’étais persuadé que ces négociations de Doha étaient une erreur totale (…) et qu’elles ne parviendraient pas à un règlement politique; nous ne pouvons pas accepter des discussions politiques alors que les combats se poursuivent ! », martèle M. Massoud.
« Ces pourparlers de paix, ces rires, accolades et poignées de main entre représentants américains et talibans, cela ne signifie pas la paix pour l’Afghanistan… », critique-t-il.
La semaine dernière, les médiateurs dans le conflit afghan ont exhorté les talibans à renoncer à leur offensive de printemps, à l’issue de pourparlers à Moscou faisant partie des efforts se multipliant pour parvenir à la paix avant un retrait possible des troupes américaines du pays.
Cette rencontre à Moscou entre émissaires de Kaboul et des talibans, en présence de représentants russe, chinois, pakistanais et américain, intervient avant la date butoir du 1er mai, qui doit théoriquement voir Washington retirer ses militaires d’Afghanistan. La Turquie a, elle, prévu d’accueillir des pourparlers de paix afghans le mois prochain.
Pour M. Massoud, ces initiatives de « pouvoirs régionaux sont bienvenues ».
« Les gens s’arment »
Il dit constater que des populations en Afghanistan sont en train de « s’armer ». « Les gens s’arment parce qu’ils sont très inquiets des décisions précipitées que l’Amérique, notre partenaire stratégique, est en train de prendre concernant le processus de paix ».
« Je suis très inquiet, et j’espère que les talibans auront la décence de respecter tout accord politique et de paix », l’organisation d’élections et « les valeurs démocratiques de l’Afghanistan », dit-il.
« Mais si ils pensent que l’Afghanistan n’a pas changé en 20 ans, si ils pensent qu’aujourd’hui, il n’y a plus d’Ahmad Shah Massoud ou d’Alliance du Nord (dirigée par le commandant Massoud jusqu’en 2001), et bien je leur dis: il y a Ahmad Massoud et mes gens sont déjà en train de s’armer et de se tenir prêts », lance-t-il.
Dans un ultime appel, face à la situation « tragique » des familles afghanes qui empruntent les routes de la migration vers l’Europe, M. Massoud exhorte les pays de passage, notamment la France et l’Angleterre, à faire preuve de « compassion » et de compréhension à l’égard de ses compatriotes qui fuient « car ils sont en grave danger » et dans le « désespoir ».
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