Aux Pays-Bas, « la fin d’une ère »: les personnalités politiques connues balayées par de nouveaux venus
Le paysage politique risque d’être bouleversé par les «nouveaux venus» Pieter Omtzigt (Nouveau contrat social) et Caroline van der Plas (Mouvement agriculteur-citoyen).
Un tonnerre d’applaudissements retentit dans la grande salle De Rijtuigenloods, à Amersfoort, une ville située à soixante kilomètres d’Amsterdam aux Pays-Bas. Pieter Omtzigt se tient face à un pupitre, sa crinière blanche bien laquée, armé d’un malicieux sourire. C’est un grand jour pour l’ancien parlementaire de l’Appel chrétien-démocrate (CDA). Il présente son parti né «il y a à peine quelques semaines», le Nouveau contrat social (Nieuw Sociaal Contract, NSC). «Et déjà populaire», s’empresse-t-il d’ajouter avec joie. S’il a créé une nouvelle formation politique, c’est parce que le peuple «n’a plus confiance dans son gouvernement», confie-t-il dans une interview avant son discours. Un sondage de l’institut Ipsos, réalisé le 30 octobre, pourrait bien lui donner raison. Le NSC pourrait décrocher 26 sièges, et être propulsé comme deuxième parti le plus important du Parlement, alors qu’il n’existait même pas lors des dernières élections législatives…
La fin de Mark Rutte
Le 22 novembre, les Néerlandais sont appelés aux urnes pour désigner leurs représentants à la Seconde chambre des Etats généraux (Tweede Kamer), moins de deux ans après les dernières législatives qui ont eu lieu du 15 au 17 mars 2021, alors qu’elles se tiennent théoriquement tous les quatre ans. Ce scrutin a bouleversé le paysage politique. Dix-sept partis ont envoyé des représentants au Parlement, une fragmentation record depuis 1918. Le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD), formation de centre-droit du Premier ministre sortant Mark Rutte, a conservé à cette occasion sa majorité relative en remportant… 34 des 150 sièges de l’assemblée.
Cependant, le gouvernement de coalition a tardé à être formé. Ce n’est qu’après 271 jours de négociations que le cabinet Rutte IV a vu le jour le 10 janvier 2022. Dans ces circonstances, l’étonnement n’a pas été grand lorsque les quatre partis de la coalition ont annoncé leur rupture, le 7 juillet 2023. On s’est alors rappelé que Mark Rutte avait déjà présenté sa démission en janvier 2021 afin d’éviter une motion de censure à la suite d’un scandale lié à une question d’allocations familiales. Le lundi suivant, au petit matin, Mark Rutte annonçait son souhait de ne pas se représenter aux prochaines élections et de se retirer de la vie politique. La surprise fut totale.
Aux Pays-Bas, on a un dicton qui dit: “La gauche manifeste et la droite gouverne.”
«Tout est différent! Le Premier ministre est parti!», s’exclame Jan (1), 66 ans. Tout de rouge vêtu, ce militant du Parti socialiste (SP) défile, le 12 novembre, en faveur du climat aux côtés de 85 000 personnes à Amsterdam. «Toute ma vie, je n’ai vu que la droite diriger, se plaint le sexagénaire. Je ne pense pas que cela change, mais pour une fois, il y a de la place pour un débat politique qui n’existait pas auparavant.» Il ferme son blouson, rajuste son bonnet et se prépare à partir à la recherche de ses pairs, allés écouter le discours de Greta Thunberg devant le Rijksmuseum. Il ajoute: «Malheureusement, les gens vont voter de manière stratégique et la droite, de nouveau, gagnera. Aux Pays-Bas, on a un dicton qui dit: “La gauche manifeste et la droite gouverne.”»
Le sacre de Frans Timmermans?
Un peu plus loin, Sterre, 43 ans, regarde dans le vide, l’air perdu. Elle se tient en retrait du grand groupe qui se pousse pour espérer apercevoir la jeune militante «la plus écolo de la planète». Elle porte un sac à dos GroenLinks (le parti des Verts). «Je ne sais pas si je vais voter pour eux, soupire-t-elle. Leur association avec le PVdA (NDLR: le Parti du travail) ne me plaît pas. Et je ne sais pas quoi penser de Frans Timmermans (NDLR: l’ancien commissaire européen), à la tête de cette minicoalition.» Sous le ciel gris d’Amsterdam, Sterre affiche une mine lugubre quant à l’avenir politique de son pays: «Je pense que, dans ce pays, nous agissons trop tard pour le climat, la planète et également pour les générations futures, précise-t-elle, mais peut-être Timmermans réussira-t-il à faire avancer les Pays-Bas dans le bon sens. A voir…» L’ancien vice-président de la Commission européenne a réussi à rallier une partie de la gauche, mais parviendra-t-il à mobiliser un électorat suffisant? «A mon avis, il n’est pas assez critique envers les autres partis, déplore David Bos, politologue à l’université d’Amsterdam. Surtout à l’égard de Pieter Omtzigt. De la sorte, il ne convainc pas une partie de la gauche, et ne rafle pas de voix ailleurs.»
Les sondages d’Ipsos corroborent la parole du politologue. Le VVD garderait la majorité relative avec 26 sièges, mais essuierait une perte notable d’élus. De nouveaux partis pourraient s’installer au Parlement et rafler de nombreux sièges, une première depuis quelques élections. Outre le NSC, le BBB (Mouvement agriculteur-citoyen) pourrait encore impressionner le pays après son étonnante et fulgurante victoire aux élections provinciales, le 15 mars 2023, qui lui a octroyé seize sièges au Sénat (Eerste Kamer). Selon Ipsos, le BBB pourrait récolter douze élus. Ce ne serait pas une véritable surprise tant la question de l’azote et de l’agriculture fut l’un des thèmes centraux de ces élections. «De manière assez étonnante, d’ailleurs», analyse David Bos qui explique que «seulement 2% de la main-d’œuvre néerlandaise travaille dans le secteur agricole».
Les débats dans l’arène politique néerlandaise sont superficiels. L’après-élection sera un réel défi.
Quel fut le thème principal de cette campagne? L’immigration. Que ce soit dans la bouche de la ministre de la Justice sortante, Dilan Yesilgöz-Zegerius, la remplaçante de Mark Rutte au VVD, ou dans celle de Caroline van der Plas, du BBB, les politiques migratoires ont été mises en avant. «Cela fait vingt ans que l’immigration fait débat aux Pays-Bas. Mais le ton s’est durci dans de nombreux partis centristes et de droite. Aujourd’hui, de nombreux Néerlandais accusent les immigrés de «voler leur logement». Avant, ils disaient pareil pour le travail… Le thème est central car la coalition s’est dissoute sur un désaccord concernant l’immigration», détaille David Bos.
La crise du logement apparaît au deuxième rang de l’agenda politique. Jelmer Becker, 22 ans, le plus jeune candidat de la liste des PVdA le confirme: «Je veux faire en sorte que chaque personne trouve un logement facilement, à un prix raisonnable. Et pour l’instant, ce n’est absolument pas le cas.» Somme toute, les thématiques électorales ne changent pas fondamentalement aux Pays-Bas. Une chose évolue cependant: «Les personnalités politiques connues ont quitté le navire», selon David Bos. Le départ de Mark Rutte n’a pas été le seul à surprendre. Sigrid Kaag, la ministre sortante des Finances au parti D66, et Wopke Hoekstra, l’ancien chef de la diplomatie et membre du CDA, se sont également retirés de la gouvernance de leur parti. «La fin d’une ère politique, ajoute le politologue, «qui rend ces élections spéciales».
Contre les politiques
«Les gens n’ont plus confiance en la classe dirigeante», affirme Charlotte, 54 ans, présente au meeting du NSC. «Tout le monde s’accorde à le dire, il y a une crise dans toute l’Europe», enchérit Remke, Néerlandaise de 44 ans. Pour Pieter Omtzigt, les Européens ne traversent pas une crise de la démocratie, il y a juste «une perte de confiance totale dans les gouvernements», y compris aux Pays-Bas. Ce qui expliquerait pourquoi les Néerlandais ne votent «pas pour un programme, d’après David Bos, mais contre les anciens politiciens. Un manque de confiance s’est installé dans le pays, qui sera difficile à surmonter.»
«Le plus difficile est à venir pour Dilan Yesilgöz-Zegerius, assure le spécialiste. L’après-élection sera un réel défi. Elle ne cesse de répéter qu’il y a eu trop de compromis, mais vu le nombre de partis siégeant au Parlement, il n’y a pas d’autres choix.» La ministre n’a pas exclu de s’associer avec l’extrême droite si le VVD obtient une majorité relative. Aussi une certaine déception envahit plusieurs électeurs néerlandais, comme Anna (1), 32 ans, qui ne comprend pas pourquoi la santé n’apparaît pas dans les programmes électoraux. Une étude menée par le gouvernement néerlandais montre que celle-ci n’est plus une préoccupation majeure pour de nombreux électeurs. Bénéficiant d’un taux d’intérêt de 29% à l’été 2021 auprès des Néerlandais de + de 18 ans, les questions autour de la santé ont vu ce taux chuter à 16% à l’hiver 2023. Un problème pour le politologue qui considère que «les débats dans l’arène politique néerlandaise sont superficiels». Pour David Bos, il faudrait se concentrer sur des questions majeures «comme le climat et le système de santé».
(1) Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.
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