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Aux Pays-Bas, des élections sous le signe de l’austérité

Alors que les élections législatives se déroulent ce mercredi outre-Moerdijk, tous les partis ont choisi de se mettre à l’heure des restrictions budgétaires. Le populisme fait moins recette.

A la sortie de la gare centrale d’Amsterdam, la foule pressée ne prête pas attention à une inscription sur un fier immeuble tout proche, construit au XVIIe siècle, à l’âge d’or de la cité. De kost gaat voor de baat uit (« Le coût vient avant le profit »), peut-on lire sur la façade de ce qui fut une des plus anciennes banques du pays et qui abrite aujourd’hui un… coffee shop. La maxime pourrait être le slogan le plus populaire de la campagne des élections législatives de ce printemps 2010, tant le scrutin s’est focalisé sur l’enjeu de l’apurement des comptes publics.

C’est une surprise. Il y a deux mois encore, le trublion populiste Geert Wilders faisait une percée aux élections municipales. Ce grand blond peroxydé caracolait dans les sondages qui lui promettaient un quart des sièges à la Seconde Chambre du Parlement. Les élections se joueraient, chacun en était convaincu, sur son programme-dénonciation de l’immigration et de l’islam.

Et puis, la Grèce s’est effondrée… Dans la bourrasque financière qui s’en est suivie, le changement de priorités a été brutal. La dégringolade de l’euro, la chute des Bourses (et l’effondrement des fonds de retraite par capitalisation des Néerlandais), les incertitudes sur la reprise dans un pays très dépendant des aléas du commerce international ont replacé l’économie au coeur du débat.

Même l’extrême-gauche défend la rigueur budgétaire

Aussi sec, les partis classiques de gouvernement, jugés plus crédibles sur ce terrain, ont vu leur cote remonter. Des sociaux-démocrates (PvdA) aux conservateurs chrétiens (CDA), il est vrai, un consensus s’est formé sur l’impératif de revenir dès 2015 à l’équilibre budgétaire. Pourtant, le chômage reste faible (3% sur le barème européen) et le pays riche. Mais le sentiment d’urgence prédomine. Coupes dans le budget de la sécurité sociale, abaissement du nombre de fonctionnaires, santé publique à la diète: autant de mesures présentes dans tous les programmes. Même l’extrême gauche (Parti socialiste, SP) promet de tailler dans les dépenses de santé et d’administration. Tout est ensuite affaire de détails: faut-il financer l’avion de chasse JSF? Construire plus ou moins de routes? Couper franchement dans le budget de l’aide à la coopération? Augmenter ou non la fiscalité? Aux électeurs de trancher entre les nuances.

Parce que les sujets de la reine Beatrix prennent la démocratie au sérieux, les Pays-Bas peuvent s’enorgueillir d’avoir inventé une coutume unique au monde. A chaque campagne législative, depuis vingt-cinq ans, un organisme d’Etat, le Bureau pour la planification centrale (CPB), procède, à leur demande, à l’examen des plateformes des partis. L’objet est de comparer les mesures et d’en évaluer l’incidence sur les comptes de la nation. Passés au tamis des économistes, les programmes sont chiffrés et toute dérive démagogique est aussitôt mise en relief.

Le CPB est un outil majeur de la politique de large consensus qui caractérise le pays. Ses analyses sont rarement contestées. « En mars dernier, le Bureau a publié ses prévisions pour la période allant de 2012 à 2015, explique Marcel Lever, qui a dirigé l’analyse comparative. Nos modèles ont indiqué que si le prochain gouvernement ne corrigeait pas rapidement les déficits publics, le chômage grimperait vite. Tous les partis ont accepté notre analyse et relevé le défi. »

« Chacun va sentir sur ses épaules le fardeau de la crise »

Le CPB se défend de jouer au maître d’école, plus encore de contrôler le débat politique. Mais il n’a pas manqué de souligner que c’est l’application du programme du Parti libéral (VVD) qui entraînerait un retour plus rapide à l’orthodoxie budgétaire et, à long terme, à une croissance de l’emploi plus forte. Or c’est cette formation qui se retrouve en tête dans les sondages. Si les instituts d’enquête ont raison, au soir du 9 juin, le royaume, souvent perçu comme un laboratoire avancé en Europe, sera gouverné par un Premier ministre désigné libéral, une première depuis 1918. Le duopole chrétien-démocrate et social-démocrate qui régit le pays en serait ébranlé.

Aujourd’hui directeur de la communication du groupe d’assurances Aegon, Jan Driessen était, lors des élections de 2006, le stratège en chef de la liste VVD. Proche de son leader, Mark Rutte, un cadre d’Unilever rompu aux ficelles du marketing, il résume le leitmotiv « clair et déplaisant » du chef libéral: « Chacun va sentir sur ses épaules le fardeau de la crise. N’attendez pas qu’il soit un Père Noël qui laissera vos petits-enfants régler l’addition. »

De fait, la formation libérale propose 20 milliards d’euros de coupes dans le budget public, veut réduire l’allocation chômage à un an (au lieu de trois actuellement), relever rapidement l’âge du départ à la retraite de 65 à 67 ans, couper dans la politique sociale d’insertion des immigrés et redéfinir les limites de l’Etat providence.

Dans l’Europe du Sud, cette cure d’austérité annoncée ferait fuir les électeurs; ici, elle les séduit. Particulièrement chez les plus jeunes, ralliés, ces dernières années, à l’autoentrepreneuriat et méfiants vis-à-vis de l’idée même de solidarité sociale. Pour le libéral Rutte, c’est du tout cuit. « Peut-être faut-il y voir un legs de feu Pim Fortuyn (le leader populiste assassiné en 2002) qui tirait sa popularité de la dénonciation de l’immobilisme de la classe politique, avance le philosophe Rob Wijnberg. Aujourd’hui, s’il veut être populaire, un homme politique doit tenir un discours dur. S’afficher en partisan de la rigueur, c’est payant. » « C’est la rançon de la « twitter démocratie », suggère Lennart Booij, un des fondateurs de l’agence en conseil et stratégie BKB. Notre société de consommateurs réclame des solutions instantanées, ce qui ouvre la voie à des solutions radicales. »

Une éthique de la « responsabilité »

Le culte de la discipline financière ne peut s’expliquer, par ailleurs, sans invoquer l’héritage culturel. « Depuis la fondation des Provinces-Unies, ses habitants se sont toujours considérés comme une vraie république de citoyens responsables, explique Gerbert Van Loenen, rédacteur en chef adjoint du quotidien chrétien Trouw. L’Etat n’est pas une abstraction transcendante, l’Etat, c’est nous. Dès lors, chacun est responsable, ici et maintenant, pour les finances publiques. »

Cette éthique de la responsabilité (la rentmeesterschap) plonge ses racines dans le calvinisme. Dieu a donné la terre aux hommes afin qu’ils la gèrent avec sagesse, car ils ne sont que de passage en ce monde. Cette logique rend moralement insupportable un transfert des charges sur les générations à venir. « Or, le vieillissement de la population va peser sur les finances, prévient Bas Jacobs, ex-militant du PvdA, aujourd’hui professeur à l’université d’économie Erasmus de Rotterdam. Dans les quatre prochaines années, 500.000 actifs supplémentaires vont partir à la retraite. Au rythme actuel, en 2040, nous aurons un retraité pour deux actifs. Attendre 2020 pour retarder l’âge de la retraite, c’est entrer dans un conflit de générations et faire payer les jeunes pour les vieux, par ailleurs plus riches! »

Intolérable. Mais la responsabilité doit aussi s’étendre au-delà des frontières. Depuis dix ans, les Pays-Bas sont, par habitant, le plus gros contributeur net au sein de l’Union européenne. « Jusqu’à quand durera cette solidarité artificielle parce qu’idéologique? s’interroge Syp Wynia, de l’hebdomadaire libéral Elsevier. On n’a jamais demandé au peuple son accord pour payer pour la Grèce. Et l’histoire montre qu’il n’y a jamais eu d’union monétaire durable. » Alors, demain, un euro du Nord réservé aux seuls pays vertueux? En 2003, lorsque les finances du royaume avaient dérapé, La Haye avait immédiatement taillé dans ses dépenses pour revenir dans les clous du Pacte de stabilité. Quelques mois après, Paris et Berlin, face à la même dérive, avaient laissé filer leurs déficits. Les Néerlandais n’ont jamais oublié ce manquement à la règle. Ni pardonné.

Jean-Michel Demetz

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