L'opposant Ousmane Sonko a été condamné à deux ans de prison ferme, ce qui l'écarte de la course à la présidence. © getty images

Au Sénégal, le « modèle » démocratique cherche une sortie de crise

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La confrontation, par justice et rue interposées, entre le président Macky Sall et son opposant Ousmane Sonko, fait craindre une instabilité durable.

Modèle d’alternance démocratique en Afrique, le Sénégal connaît des heures troubles, faisant craindre qu’il verse durablement dans l’instabilité politique. En cause, l’élection présidentielle de février 2024 et la confrontation entre le président sortant Macky Sall et celui qui était arrivé en troisième position, avec 15,67% des voix, lors du précédent scrutin de 2019, Ousmane Sonko.

Manœuvre orchestrée par le pouvoir ou réel comportement délictueux du politicien quadragénaire? En mars 2021, Ousmane Sonko est accusé de viol par Adji Sarr, une ancienne employée d’un salon de massage de Dakar où l’homme politique «avait ses habitudes». Les faits se seraient déroulés entre décembre 2020 et février 2021. L’affaire, qui a animé le débat public depuis des mois, a connu son épilogue judiciaire ce 1er juin. La chambre criminelle du tribunal de grande instance de Dakar a acquitté l’opposant des accusations de menaces de mort et de viols et l’a condamné à deux ans de prison ferme pour «corruption de la jeunesse». «La justice n’a pas reconnu les viols qu’il m’a fait subir. […] C’est lui qui a gagné. Moi, j’ai perdu ma vie de jeune fille. Je suis obligée de déménager sans cesse pour me protéger», a déploré Adji Sarr, régulièrement menacée de mort depuis son dépôt de plainte.

Regardez les troubles que sa condamnation a entraînés! Imaginez un emprisonnement pur et simple.

La sentence pour «corruption de la jeunesse» empêche théoriquement Ousmane Sonko de se présenter à la future élection présidentielle. Tout bénéfice, a priori, pour Macky Sall, dont on ignore encore s’il briguera un troisième mandat, ou son dauphin de la majorité présidentielle. Ayant été jugé par contumace, l’opposant, qui affirme ne pas avoir reçu la convocation pour le procès, ne peut pas faire appel de la décision de justice. Et tout prévenu ayant été condamné à une peine de plus de trois mois de prison est inéligible.

Face à cette impasse, Ousmane Sonko a décidé de tabler sur la confrontation directe avec le pouvoir. Dès la condamnation annoncée, son parti, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), a appelé ses adhérents à manifester leur colère dans la rue. Principalement à Dakar et à Ziguinchor, ville de Casamance (sud du pays) dont Ousmane Sonko est maire, la confrontation entre les manifestants et les Forces de défense et de sécurité (FDS) a tourné, le 1er juin, aux affrontements meurtriers. Au moins seize personnes ont perdu la vie. La prochaine étape de la protestation est attendue avec d’autant plus d’inquiétude qu’en vertu de sa condamnation, l’opposant, déjà placé sous résidence surveillée à son domicile de la cité Keur Gorgui à Dakar, pourrait être envoyé en prison. «La décision [sur l’attitude d’Ousmane Sonko] dépendra des événements en cours. L’Etat a une peur bleue d’une arrestation ; regardez les troubles que sa condamnation a entraînés! Imaginez un emprisonnement pur et simple. Nous ne sommes plus dans le cadre du droit mais dans le rapport de force entre l’opposition et le pouvoir», a commenté, à Jeune Afrique, un de ses conseillers, Waly Diouf Bodian.

Le pouvoir, lui, use des subterfuges auxquels les dirigeants menacés par une contestation populaire ont régulièrement recours. Les manifestants sont renvoyés à leurs présumées accointances avec des «forces occultes influencées par l’étranger», à leurs actions jugées subversives, et à leur recours supposé à la violence armée. Sauf que, sur cette dernière accusation, le pouvoir sénégalais s’est lamentablement fourvoyé. Pour attester de ce choix délibéré des armes par l’opposition, le commissaire de la police nationale, Mouhamed Gueye, a diffusé une vidéo montrant un homme en civil muni d’une arme de guerre. Or, la suite des images filmées promptement mises en ligne sur les réseaux sociaux montre que l’homme censé être un partisan d’Ousmane Sonko se concerte avec des agents des FDS qui tirent sur des opposants depuis l’arrière d’un pick-up…

La tension entre les deux camps est tellement exacerbée, les voies de sortie de crise apparaissent tellement hypothétiques, que les troubles risquent de continuer, voire d’empirer. Une situation qui n’arrange pas non plus le pouvoir en regard des préjudices qu’elle peut causer à l’économie. Le tourisme, par exemple, représente 7,6% du PIB et emploie une centaine de milliers de personnes. L’objectif d’attirer jusqu’à 1,8 million de visiteurs en 2023, contre un million par an entre 2011 et 2015, risque de se fracasser sur les ambitions d’un vétéran coriace et d’un jeune ambitieux du théâtre politique sénégalais.

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