Le général Jean Varret a été réhabilité par le rapport Ducret sur le rôle de la France au Rwanda. © BELGAIMAGE

Au Rwanda, l’appel à prévenir le génocide qui n’a pas été entendu

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Chef de la coopération militaire au début des années 1990, le général français Jean Varret avait mis en garde ses supérieurs contre le projet de génocide. Retour sur les démons de la Françafrique.

Le Rwanda commémore le génocide des Tutsis qui, entre avril et juillet 1994, a fait un million de morts parmi la minorité tutsie de la population et les Hutus modérés opposés au régime du président Juvénal Habyarimana. Mis à exécution il y a vingt-neuf ans, ce projet génocidaire avait pourtant été conçu quelques années auparavant…

Le général Jean Varret, alors chef de la Coopération militaire française, en a eu connaissance dès le début de 1991 de la bouche même d’un des membres de l’aile dure du pouvoir rwandais. C’est un des moments clés de la partie consacrée au Rwanda de Souviens-toi. Mémoires à l’usage des générations futures (1), un livre d’entretiens menés avec pugnacité par le journaliste Laurent Larcher. La scène se déroule lors d’une visite de Jean Varret à Kigali à l’issue d’une réunion avec des hauts gradés rwandais, mis sous pression par l’offensive du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion à majorité tutsie opposée au pouvoir à dominante hutue qui, depuis la fin de l’année 1990, a réussi à occuper une partie du nord du pays. Le militaire français se retrouve seul face au chef d’état-major de la gendarmerie Pierre-Célestin Rwagafilita, qui lui réclame de nouveaux armements. «Nous sommes entre officiers. Je vais vous parler en confiance et sans détour. La gendarmerie va rejoindre l’armée pour résoudre le problème», lui lance-t-il. «Quel problème?», l’interroge Jean Varret. «Nous avons besoin de ces armes pour liquider tous les Tutsi: les femmes, les enfants, les vieillards dans tout le pays! Vous savez, ce ne sera pas long, car ils sont peu nombreux.» Le chef de la Coopération militaire française est décontenancé par le calme avec lequel son interlocuteur lui dévoile le projet d’épuration ethnique. Il en conclut: «Il me fait cette confidence qui ne lui paraît pas scandaleuse, car il pense sans doute que je soutiens le président Habyarimana avec la même conviction qu’il a pu prêter aux interlocuteurs français de haut niveau qu’il avait rencontrés jusqu’à cet instant.»

Nous avons besoin de ces armes pour liquider tous les Tutsis» lui confie Rwagafilita.

Jean Varret adresse un télégramme «secret défense» à sa ministre de la Coopération, Edwige Avice, et au ministre de la Défense, Pierre Joxe, pour les alerter de la gravité de la situation et les interpeller sur l’opportunité de poursuivre l’aide militaire de la France. L’avertissement restera sans suite. Au contraire, le soutien au régime Habyarimana sera étendu. Le chef de la Coopération militaire tente alors de poser des limites à cette assistance militaire. En vain. L’opération est directement pilotée par l’Elysée, où le chef d’état-major particulier de François Mitterrand, l’amiral Lanxade puis le général Quesnot, son adjoint, le colonel Huchon, le conseiller Afrique, Jean-Christophe Mitterrand puis Bruno Delaye, le secrétaire général Hubert Védrine, agissent en grande partie à l’insu des ministères concernés. Cette filière parallèle pousse les soldats français à s’impliquer de plus en plus en soutien de leurs collègues rwandais dans le contrôle de présumés infiltrés tutsis autour de Kigali, sur le front des affrontements au nord, et même dans au moins une incursion en territoire ougandais pour recueillir du renseignement sur le FPR. Pour la classe politique française, toutes tendances confondues, aider le régime de Kigali s’impose au nom de la défense du pré carré français menacé par un supposé expansionnisme anglo-saxon. Que cet objectif soit poursuivi malgré le risque de massacres de masse, Jean Varret ne peut l’accepter. Il démissionne en 1993 et sauve ainsi l’honneur de l’armée française. Un an plus tard, le projet génocidaire sera mis à exécution…

(1) Souviens-toi. Mémoires à l’usage des générations futures, par le général Jean Varret, Les Arènes, 288 p.
(1) Souviens-toi. Mémoires à l’usage des générations futures, par le général Jean Varret, Les Arènes, 288 p. © National

Avant l’épisode rwandais, Souviens-toi. Mémoires à l’usage des générations futures plonge dans les méandres peu reluisants de la Françafrique, quand Paris démettait des présidents, en Centrafrique ou au Tchad, au gré de ses intérêts, ou quand l’armée encourageait la création d’un «bordel militaire de campagne», et dans ceux de la guerre d’Algérie, lorsque les militaires, mêmes hauts gradés, s’accommodaient de la torture. En cinq ans d’écoles militaires, Jean Varret n’avait reçu «aucun enseignement spécifique sur l’éthique». La situation a changé dans les enseignements, laissant espérer qu’elle a aussi évolué sur le terrain.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire