Au Brésil, le grand ratage de la mondialisation
Pour avoir voulu mener de front le décollage économique et l’affirmation de la démocratie, le pays a pris tous les risques à la fois. Mais l’accession à la présidence de Jair Bolsonaro n’aurait pas été possible sans la multiplication des affaires de corruption.
A l’automne 1964, au cours d’une tournée en Amérique latine de vingt-six jours, Charles de Gaulle avait lancé une de ses célèbres formules : » Le Brésil est un pays d’avenir et il le restera. » L’élection présidentielle est l’illustration même de ce destin toujours en devenir. La victoire de Jair Bolsonaro, classé à l’extrême droite, face à Fernando Haddad, issu du Parti des travailleurs (PT, fondé par le mythique Lula), confirme l’enfoncement du Brésil bien plus qu’il ne constitue une promesse de relèvement.
Ce pays si attirant semble se dessiner comme une sorte de Chine à l’envers. Sensation persistante d’un grand ratage mondial. Dans le paysage si grandiose du géant lusophone, qui regorge de richesses naturelles, qui dispose du poumon chlorophyllien de la planète (l’Amazonie), dont toute la culture est orientée vers la douceur de vivre, où la mixité ethnique pourrait être un modèle mondial, l’ensemble des facteurs de réussite a alimenté une angoisse collective, à laquelle n’échappent que les classes les plus aisées. Pour avoir voulu fièrement mener de front le décollage économique et l’affirmation de la démocratie, le pays a pris tous les risques à la fois. Et qui ne s’en serait pas félicité il y a dix ans à peine alors que les potentialités apparaissaient fabuleuses ?
Ce pays si attirant semble se dessiner comme une sorte de Chine à l’envers.
La manne pétrolière a écrasé les autres activités, au point de tisser une guirlande d’affaires de corruption, dont la principale est à l’origine de l’incarcération de Lula (président de 2003 à 2011). Les exportations ont par trop reposé sur les matières premières, ce qui a exposé les échanges à la chute des prix du baril et à celle des produits de base. Le ralentissement de la croissance chinoise, carburant de la production brésilienne (notamment d’acier), a réduit les débouchés et fait baisser les recettes. L’industrie, non compétitive en raison d’investissements de modernisation insuffisants, est tombée dans les rets d’une économie financiarisée.
Mais ces facteurs économiques, aussi déterminants qu’ils soient, n’étaient pas suffisants pour affaiblir à ce point les rouages démocratiques. L’élection du nouveau président n’est pas un match réducteur droite-gauche, ni le résultat d’un affrontement entre un nouveau clan ouvertement populiste et un ancien courant qui se dit proche de l’électorat populaire. La corruption est allée tellement de pair avec le schéma de la dernière décennie que, une fois la croissance affaissée, c’est le réseau de distribution des prébendes qui a pris le dessus. Au sein du Parlement brésilien, où l’on ne dénombre pas moins de 30 partis politiques, 40 % des députés sont actuellement sous le coup d’une mise en examen ou d’une accusation, beaucoup parmi eux étant des élus du PT de Lula.
Soutien des Eglises évangéliques
En faisant de la lutte contre les scandales en cascade le point fort de sa campagne électorale, mélange de dégagisme et d’opération » mains propres « , Jair Bolsonaro n’a fait que surfer, avec le talent qu’il n’a pas, sur les exaspérations de l’opinion publique dominante. Soutenu par le mouvement des Eglises évangéliques, qui foisonnent au nom du retour à la morale et de la » théologie de la prospérité « , le candidat de la droite extrême a pilonné l’Etat de droit, que l’ancien système représenté par le PT avait déjà piétiné d’une autre manière.
En 2017, le Brésil a enregistré un record mondial, celui de 64 000 meurtres ou assassinats. Les victimes sont évidemment issues des catégories sociales les plus défavorisées, mais aussi des classes émergentes ou moyennes. La thématique guerrière de Bolsonaro, qui a promis de liquider les trafiquants de drogue et d’autoriser les citoyens à s’armer, a rejoint le sentiment des plus faibles – et des nombreux perdants. En sept ans, la nation qui fit la gloire de Lula a vu son rêve de progrès se transformer en cauchemar. Aussi sinistre que vrai, c’est l’instauration de l’ordre public qui est devenue une utopie.
A la faveur de son premier discours de président élu, Jair Bolsonaro a élevé » la défense de la Constitution, de la démocratie et de la liberté » au niveau d’un » serment devant Dieu « . De quoi, sans doute, tenter de rassurer ceux qui, au pays et à l’étranger, prédisent que la politique du nouveau dirigeant du Brésil pourrait se révéler attentatoire aux libertés fondamentales, lui qui n’a pas masqué, pendant la campagne électorale, sa nostalgie de la dictature qui a sévi au Brésil de 1964 à 1985. Vainqueur du deuxième tour de l’élection présidentielle avec 55,1 % (quelque 57 millions d’électeurs) des voix contre 44,9 % (45 millions) à son adversaire du Parti des travailleurs Fernando Haddad, l’ancien capitaine de 63 ans a promis le changement sous forme de rupture : » Nous ne pouvons plus flirter avec le socialisme, le communisme, le populisme de gauche « . Une profession de foi qui résonne comme une menace parlante dans un continent qui voit un de ses membres, le Venezuela, se vider de ses forces vives sous l’effet de la gabegie. Le président, qui entrera en fonction en janvier prochain, a aussi promis un désinvestissement dans le gouvernement fédéral dont la structure et la bureaucratie subiront une cure d’amaigrissement. On aurait cru entendre Donald Trump.
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