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Attaque aérienne américaine en Syrie: « L’EI sera le troisième larron »

Jasper Van Loy Rédacteur pour Knack.be

Pour les observateurs, l’attaque aérienne américaine en Syrie change la donne politique internationale. « Nous sommes revenus aux derniers mois du gouvernement Obama. »

Il y a quelques années, Donald Trump déconseillait à son prédécesseur Barack Obama d’intervenir en Syrie. Lui-même ne souhaite pas être le « président du monde ». Et pourtant, cette nuit, le président Trump a attaqué une base aérienne en Syrie. « Il y a l’analogie par rapport à 2013, quand Obama avait décrété une ligne rouge pour les armes chimiques, mais qu’il a attendu trop longtemps pour agir. Trump ne voulait absolument pas répéter ce scénario », explique le professeur en relations internationales David Criekemans (Université d’Anvers).

Politologue et spécialiste de l’Amérique, Bart Kerremans (KU Leuven) y voit une combinaison entre stratégie et impulsivité. « Il est confronté à la réalité, qui l’oblige à réagir jour après jour. Le résultat n’est pas un bombardement massif, car ce n’est pas ça, mais un signal politique pour Moscou et Pékin : tenez vos alliés à l’oeil, car sinon nous allons agir contre eux. »

Washington et Moscou

C’est la première fois depuis qu’il est président que Trump attaque une puissance étrangère et qui plus est un allié de la Russie. C’est frappant, car lors de la campagne électorale Trump prônait régulièrement un dégel des relations américano-russes.

« Beaucoup d’observateurs disaient déjà qu’une fois président il aurait plus de mal à resserrer les liens avec la Russie », rappelle Sven Biscop, chercheur politique à l’Université de Gand. « Il a seulement dit qu’il vaudrait mieux que les relations entre Washington et Moscou s’améliorent », affirme Kerremans. « Mais il n’a jamais dit que c’était inconditionnel ».

Entretemps, les Russes continuent à prétendre que le régime syrien n’était pas derrière l’attaque chimique. « Il y a peu de raisons de douter de l’histoire de la coalition internationale », déclare Biscop, « même si en tant que profane, nous n’avons pas les preuves en main. La vérité, c’est que nous n’en savons rien. Plusieurs patients auraient été emmenés en Turquie pour les soigner et au moment de l’attaque chimique, il y aurait eu des avions de combat syriens dans le ciel. »

Biscop souligne que les Russes ont tout intérêt à mentir. « Si le régime syrien s’avère responsable de l’attaque, la Russie perdrait la face, car elle a contribué à l’accord autour de l’interdiction d’armes chimiques de 2013. »

L’attaque aérienne n’est pas une déclaration de guerre, car « là-bas, nous sommes en guerre depuis longtemps », estime Biscop. « C’est une attaque de représailles, mais aussi une forme de dissuasion. Reste à voir si les États-Unis prévoient d’autres attaques ». Le chercheur estime que c’est peu probable. Selon lui, on revient à la situation telle qu’elle était en fin de mandat d’Obama, quand les États-Unis et la Russie s’entendaient mal.  » Le lent processus diplomatique de paix en Syrie sera probablement relancé. »

Bachar el-Assad

Biscop et Criekemans sont d’accord: Bachar el-Assad restera au pouvoir. « Tant que la Russie le protège, Assad reste où il est. Dans un certain sens, il est mieux loti qu’en 2015, lorsque son régime était sur le point d’imploser », déclare Criekemans. « Les Russes ne vont pas nécessairement s’accrocher à la personne, mais ils resteront attachés au régime. Cependant, ils ne peuvent le laisser tomber maintenant, car ils perdraient la face », ajoute Biscop.

« Ils ont compris qu’il valait mieux l’accepter comme président s’ils veulent voir se finir le combat. S’ils veulent chasser Assad, l’armistice est encore loin », déclare Biscop.

Le conflit contre la Syrie entre-t-il dans une nouvelle phase? « Les différents acteurs du conflit n’ont pas beaucoup d’intérêt à ce que la guerre cesse. Aucun camp ne peut vraiment décrocher la victoire. Nous sommes dans une impasse qui peut s’éteindre doucement, mais aussi dégénérer encore, même si tout le monde est d’accord qu’il faut vaincre l’EI. »

« Ici, l’EI est le troisième larron », souligne Criekemans. « Il est sur le point d’imploser, et quand cela se produira, il y aura une course pour le territoire de l’EI, et ce dernier se concentrera encore davantage sur le terrorisme. Si les grandes puissances ne se parlent pas et que leurs services de renseignement ne coopèrent pas, on aura un grand problème. »

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