« Assad aura du mal à gagner la paix »
Dans un livre à contre-courant, Régis Le Sommier tente de percer l’énigme Bachar al-Assad. Ou comment un timide docteur s’est mué en impitoyable chef de guerre, qu’il est en passe de remporter malgré toutes les prédictions.
» Dictateur sanguinaire « , » boucher de Damas « , » massacreur de son peuple « , les qualificatifs peu amènes se répètent pour décrire le président syrien Bachar al-Assad. D’autres préfèrent retenir qu’il a servi de rempart à l’islamisme radical. Dans la guerre qui a ravagé la Syrie, a-t-il vraiment tous les torts ? Directeur adjoint de Paris Match, le journaliste Régis Le Sommier a pu rencontrer le chef d’Etat syrien à plusieurs reprises depuis le début de la guerre, dont une fois en » off « . Dans Assad (éd. La Martinière, 218 p.), il tente de percer les énigmes autour du personnage.
Comment Bachar al-Assad est-il arrivé au pouvoir ?
Son père, le président Hafez al-Assad, le rappelle en 1994 alors qu’il vivait à Londres. Bassel al-Assad venait de mourir et son frère Bachar devenait du coup le successeur désigné. Hafez va le préparer à sa future tâche, le nommant président de la Société syrienne d’informatique et lui confiant les dossiers libanais. Quand il accède au pouvoir en 2000, il veut ouvrir le pays à certains groupes d’opposants. Mais le clan autour de lui craint pour la survie du régime, et celui-ci se refermera. Bachar va également libéraliser l’économie, mais cela profitera davantage aux villes qu’aux campagnes. Un déséquilibre s’installe, auquel s’ajoute la sécheresse. L’opposition traditionnelle, à savoir les Frères musulmans, capitalisera sur le mécontentement. C’est pour cela que l’insurrection de 2011 a rapidement penché du côté islamiste.
Est-il vraiment l’homme fort de la Syrie ?
Il s’est fait un prénom. Son oncle Rifaat pensait que Bachar était un » gentil » et qu’il était manipulé par les services et les officiers supérieurs. Peut-être qu’à l’époque il l’était. Mais c’est lui qui a pris la décision d’appeler le Hezbollah à la rescousse, ainsi que les Iraniens et les Russes, dont il dépend aujourd’hui. Assad a campé sur sa position de président et de rassembleur, ce que la rébellion n’a jamais réussi à faire.
Sur le plan personnel, quel genre d’homme est-il ?
Son côté effacé ou falot fait qu’on a sous-estimé sa dureté intérieure, sa capacité d’autodéfense. Il ne faut pas s’arrêter à son image de docteur basé à Londres et maîtrisant les codes occidentaux. A la base, il garde les réflexes du paysan alaouite, fidèle à l’ asabiyya, une notion tribale qui désigne la conscience de groupe. S’attaquer à un membre signifie s’en prendre à toute la communauté. Les alaouites y sont d’autant plus sensibles qu’ils sont minoritaires. Contrairement à ces autocrates friands de fastes, les Assad vivent dans la modestie. Les affiches de Bachar al-Assad en uniforme militaire avec lunettes de soleil ne reflètent pas sa personnalité, il n’est pas un militaire. Il a plutôt une mentalité de scientifique, qui aime la précision.
Il aurait choisi l’ophtalmologie » car c’est une médecine très précise, et dans laquelle il n’y a que très peu de sang « . Quel paradoxe, n’est-ce pas ?
L’ophtalmologue qui l’a recueilli pour un stage à Paris, et dont je publie le témoignage, explique que c’était quelqu’un de timide, parlant à l’époque très bien le français, et qu’il ne comprenait pas comment un médecin pouvait gazer son peuple. Pour le reste, Bachar al-Assad parle de Daech comme d’un virus, et des oppositions communautaires comme des incompatibilités Mac-PC. Quand je lui évoque les capacités d’écoute de la NSA américaine, il me renvoie qu’il suffit d’être plus malin qu’eux. De fait, les Syriens sont très forts en informatique. C’est Bachar al-Assad qui introduira l’Internet en Syrie, ce qui jouera en sa défaveur. L’écho des printemps arabes est arrivé très vite…
Devrait-il quitter le pouvoir ?
Le président français Emmanuel Macron a déjà répondu : » Personne ne m’a présenté son successeur. » On ne peut rester dans cette fiction de Syrie avec une opposition démocrate et pluraliste alors que ce sont des groupes islamistes qui mènent la danse. On sous-estime la force du patriotisme en Syrie, alors que la rébellion est incapable d’incarner un projet national. Druzes, chrétiens et même alaouites ont hésité à rejoindre la rébellion au début mais ils ont vite compris que si Bachar al-Assad tombait, c’était l’avènement de la charia et la fin des communautés.
Les analystes ont-ils été à côté de la plaque ?
En annonçant la chute imminente de Bachar al-Assad en 2011, certains diplomates, journalistes, experts, se sont trompés sur toute la ligne, et c’est difficile pour eux de faire leur mea culpa. Je cite dans mon livre George Orwell et ses Réflexions sur la guerre d’Espagne (1942). Les guerres en Syrie et en Espagne ont beaucoup en commun sur le travestissement de la réalité. Orwell raconte avoir vu des batailles terribles dont pas une ligne n’a été recensée dans la presse anglaise. L’armée syrienne a perdu 120 000 hommes, mais qui en parle ?
Sur quelle base mettez-vous en doute la thèse selon laquelle Bachar al-Assad aurait libéré les radicaux islamistes pour alimenter Daech et diviser l’opposition ?
En 2011, 256 islamistes ont été libérés de la prison de Saidnaya : aucun n’a pris d’importance dans les groupes islamistes. Des communistes ont d’ailleurs bénéficié de la même mesure. Les deux figures principales de Daech, al-Zarqaoui et al-Baghdadi, ont été libérés non des geôles syriennes, mais l’un d’une prison jordanienne et l’autre d’une prison américaine en Irak. Qu’il y ait eu des jeux tactiques, c’est vraisemblable. Mais regardons les faits : en un an, c’est l’armée syrienne qui a reconquis le plus de territoire de Daech dans toute la région.
Comment parle-t-il de ses concitoyens ?
La plupart des Syriens en exil n’ont pas d’opinion, m’a-t-il lâché. Je lui ai demandé pourquoi il a martyrisé ceux qui habitaient le quartier insurgé de Baba Amr à Homs. Il m’a répondu qu’il y avait des terroristes en face et qu’il ne pouvait agir autrement… Il reconnaît des erreurs mais il ne spécifie jamais lesquelles. Bachar al-Assad aura du mal à gagner la paix. Il lui faudra proposer une politique inclusive, faire en sorte que les exilés reviennent, car le pays manque d’hommes. A Alep, ce sont des vieux ou des adolescents qui reconstruisent la ville.
Peut-on apporter de la nuance dans le débat sur la Syrie sans être aussitôt taxé de propagandiste du régime ?
C’est difficile. On pense ce qu’on veut de Bachar al-Assad, mais n’empêchons pas les journalistes de faire leur boulot. Aller sur le terrain est difficile. J’ai simplement voulu répondre à la question : pourquoi Bachar al-Assad, à qui on ne donnait que quelques mois au début de la guerre, est toujours là, en vainqueur de surcroît. Après, les gens jugeront.
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