Argentine : «Dollariser le peso est-il justifié ? On peut se poser la question»
L’Argentine a besoin de réformes structurelles. Mais les mesures prônées par Javier Milei dépassent les demandes du FMI, s’étonne le professeur Bertrand Candelon.
Bertrand Candelon est professeur de finance à l’UCLouvain et chroniqueur au Vif. Il décrypte les tenants et aboutissants de la politique économique promise par le président Javier Milei.
Qu’apporterait une dollarisation du peso argentin à l’économie et est-elle aisément praticable?
Elle est praticable. D’autres pays y ont eu recours, notamment l’Equateur en 2000-2001, le Zimbabwe en 2008. Le président argentin élu veut dollariser la monnaie pour qu’il n’y ait plus de peso argentin, que seul le dollar soit utilisé dans l’économie afin de donner plus de crédibilité à la monnaie, et donc potentiellement réduire l’inflation. Que veut dire dollariser? Cela signifie que la Banque centrale argentine n’a plus aucun rôle. L’Argentine perdra la politique monétaire, qui sera faite à Washington. Dans ce cadre, la crédibilité pour les investisseurs sera plus grande parce qu’il n’y aura plus de risque de change. Cela se justifie-t-il dans le cas de l’Argentine? Les rapports du Fonds monétaire international (FMI) estiment que, même si l’inflation est importante, la situation n’est pas aussi alarmante que dans d’autres pays. On peut donc se poser la question de la justification d’une telle mesure. Je ne suis pas très enthousiaste. Est-ce une bonne disposition pour juguler l’inflation? En fait, la Banque centrale argentine absorbe une partie des déficits publics et donc augmente la masse monétaire, ce qui a un effet multiplicateur. Alors, oui, l’Argentine a besoin de réformes structurelles. Mais la situation n’est pas insurrectionnelle. Je pense toujours que les décisions radicales ne sont pas nécessairement les meilleures. Il faut un temps d’adaptation ; les choses ne se font pas en six mois.
Les mesures radicales de Javier Milei auront des conséquences sur la protection sociale.
La dollarisation peut-elle avoir des effets pervers?
L’effet pervers, c’est la perte de la politique monétaire. Quand on abandonne sa monnaie, il n’y a plus besoin de Banque centrale. C’est l’intention de Javier Milei. La gestion des devises se ferait à Washington. La Banque centrale ne pourrait plus absorber la dette publique. Au Zimbabwe, les activités de la Banque centrale ont été réduites de deux tiers après la dollarisation. Elle n’a plus de rôle qu’en matière de stabilité financière et d’approvisionnement de change. C’est mineur. Le problème de l’Argentine, dans cette hypothèse, est que l’on aura une politique monétaire très restrictive parce que par rapport aux Etats-Unis, la croissance de l’Argentine n’est pas la même. Donc, cela risque de diminuer le produit intérieur brut (PIB) argentin et d’avoir un effet récessionniste sur l’activité économique. Mais cela réduira l’inflation.
Diminuer la dépense publique de 15% figure aussi dans le programme de Javier Milei. Est-ce crédible?
Oui. Mais là aussi, c’est plus que ce que le FMI demande. Ce serait une coupe importante dans les dépenses publiques. Si on regarde celles de l’Argentine, ce qui coûte le plus, ce sont les subventions à l’énergie. Le dernier gouvernement n’a pas voulu appliquer cette rupture des subventions pour certaines catégories de revenus. L’Argentine connaît toujours un déficit public, même s’il se réduit. Les mesures radicales que promet Javier Milei auront des conséquences sur la protection sociale. Une partie de la population sera affectée. Il faut savoir que par rapport à l’Europe, les inégalités en Argentine sont plus importantes. On l’a vu à l’occasion de cette élection. C’est ce qui provoque ce basculement entre les populismes de gauche et de droite.
Selon vous, au vu de la situation de l’Argentine, des réformes structurelles ne doivent pas nécessairement être aussi radicales?
Il y a des réformes à faire sur le long terme. Mais ce que prône Javier Milei entraînerait des coupes plus importantes que celles auxquelles conduiraient les plans de stabilisation proposés par le FMI. Une grosse partie du déficit public est liée à ces subventions à l’énergie, qui coûtent cher et ne sont pas forcément ciblées. C’est le cas dans tous les pays. Quand il y a eu la crise de l’énergie en Europe, j’étais contre le plafonnement des prix parce que cela coûte beaucoup d’argent et que ce n’est pas complètement efficace. Il faut annuler les subventions, quitte à mettre en place des programmes de soutien en diminuant, par exemple, les taxes d’imposition pour les plus pauvres.
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