Damien Ernst et Michel Hermans
Arabie saoudite et Etats-Unis: un divorce annoncé
Les liens entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite sont un » vieux mariage de raison « , depuis la chute du Shah d’Iran en 1979. Mais le 11 septembre 2001, lorsque les USA se sont rendus compte qu’ils avaient un nouvel ennemi, Al-Qaïda, et que celui-ci était une sorte d’enfant terrible de l’Arabie saoudite, le contrat de mariage a été sérieusement écorné.
La cause première du divorce
Mais pourtant, les USA n’ont pas demandé le divorce à l’Arabie saoudite. Le pétrole de ce pays et la lutte commune contre l’Iran islamiste chiite, ennemi juré d’Israël, le fils préféré des USA étaient suffisants pour ne pas rompre les relations. A l’époque, le monarque saoudien a aussi fait preuve de bonne volonté à l’égard des USA en bannissant Oussama Ben Laden et son organisation.
Le pétrole, ce ciment du mariage de raison pour l’Arabie saoudite
Depuis ce jour cependant, les USA se sont méfiés de leur partenaire saoudien. Discrètement, ils ont mis en place une politique visant à diminuer leur dépendance aux importations pétrolières, en favorisant l’émergence de leur filière pétrole de schiste et en rendant accessible à l’exploitation pétrolière des régions des USA qui ne l’étaient pas avant. En juin 2014, les USA, aidés par un cours du baril élevé nécessaire à la croissance de leur filière de pétrole de schiste, ont même réussi à être le premier producteur de pétrole au monde. Mais, l’Arabie saoudite, a alors refusé d’ajuster sa propre production du pétrole pour maintenir un prix élevé, comme elle l’avait souvent fait par le passé. Il s’en est suivi une chute importante du prix du baril de pétrole sur les marchés internationaux, plongeant la filière de pétrole de schiste américain dans de grandes difficultés financières. Le rêve d’indépendance énergétique des USA s’éloignait alors. L’Arabie saoudite aurait sans doute gagné beaucoup plus d’argent en réduisant sa propre production de pétrole de deux millions de barils par jour au profit d’un cours du baril élevé. Mais, pour ce régime monarchique totalitaire, ce qui semble être le plus important, c’est que le reste du monde, et en particulier les USA, ne puissent pas se permettre de diminuer massivement l’approvisionnement en pétrole de ce royaume, ce qui aurait provoqué une chute brutale du régime en place. Le Ministre saoudien du pétrole, Ali al-Naïmi a d’ailleurs déclaré explicitement qu’il voulait empêcher les Américains de prendre des parts de marché. Entendez par là : l’Arabie saoudite joue sur son niveau de production pétrolière pour que ce mariage de raison perdure.
Le comportement politique saoudien, l’élément le plus crispant dans le couple
Provoquer une guerre pétrolière n’est sans doute pas le meilleur moyen à disposition de l’Arabie saoudite pour maintenir son mariage avec les USA. Elle devrait plutôt s’attaquer au fond du problème : son régime politique moyenâgeux, prônant le wahhabisme, une forme particulièrement intolérante de l’islam sunnite, dans lequel les USA se retrouvent de moins en moins. Mais, pour la famille des Al Saoud au pouvoir, réformer son régime politique signifierait la perte de l’emprise totale qu’elle a sur le pays. Rien de notable n’a été fait en terme de démocratisation du régime depuis les attentats du 11 septembre 2001. Pire, le régime donne l’impression de s’être enfoncé un peu plus dans l’obscurantisme depuis l’émergence de l’Etat islamique. Par exemple, le nombre d’exécutions capitales au sabre a commencé à augmenter en Arabie saoudite au moment où l’Etat islamique s’est mis à décapiter des journalistes américains, soit en août 2014. Ces exécutions capitales, symboliquement trop liées à la mort de citoyens américains, deviennent insupportables pour Washington. Il y avait pourtant un moratoire, du Roi Abdallah, sur l’application de la peine capitale pour certains crimes religieux. Lors de l’arrivée sur le trône du Roi Salmane, en janvier 2015, le moratoire fut levé et les sanctions appliquées. L’Etat islamique reprochait à l’Arabie saoudite son laxisme dans l’application de la charia. De plus, Ryad a adopté de nouvelles lois contre le terrorisme. Ces lois ont juste un seul objectif : lutter plus efficacement contre les opposants au régime et renforcer encore ce côté absolu de la monarchie en place. On est clairement dans un cas de figure où le régime saoudien s’écarte de plus en plus du modèle de la société occidentale pour se rapprocher de celui de l’Etat islamique, son nouvel enfant terrible, soutenu par des citoyens saoudiens. Malgré ce soutien, le Roi Abdallah a décidé de s’allier aux Américains pour combattre ce groupe terroriste, parce qu’il perdait le contrôle de la « famille ». Mais pour les USA, les deux régimes sont sans doute trop proches idéologiquement pour voir en l’Arabie saoudite un vrai allié dans la lutte contre l’EI.
L’Iran : l’élément décisif destructeur du couple Arabie saoudite-USA
Ces derniers mois, la diplomatie américaine s’est dépensée sans compter pour conclure un accord sur le nucléaire iranien. Le congrès américain a avalisé cet accord début septembre, ce qui laisse maintenant au président américain la voie libre pour réintégrer l’Iran dans la Communauté internationale et de se trouver par la même, un nouveau partenaire dans la région du golfe Persique. Ce nouveau partenaire va affaiblir l’influence que l’Arabie saoudite a sur le monde du pétrole, cette influence qui lui permet de s’attirer les bonnes grâces des USA. Tout d’abord, sans sanctions, l’Iran va pouvoir exporter plus de pétrole. Or si l’Arabie saoudite a su arrêter l’expansion de la filière pétrole de schiste américain en faisant chuter les prix, elle ne saura pas empêcher la croissance de l’industrie pétrolière iranienne qui a des coûts de production bien plus bas. De plus, l’Iran va sans doute accentuer prochainement son influence sur la zone chiite irakienne. Et, ce sera fait avec la bénédiction de Barak Obama qui a déjà signifié en juillet 2015 que ce nouveau partenaire aura un rôle important à jouer en Irak face à l’Etat islamique. L’Iran pourrait alors de facto contrôler des réserves de pétrole plus importantes que celles de l’Arabie saoudite et, par la même, rendre moins inquiétant pour l’Occident tout problème politique grave dans les régions du Proche-Orient contrôlées par les sunnites.
Une relation triangulaire, mais pas pour longtemps ?
Même une fois cet accord sur le nucléaire en application, il y a fort à parier que les USA conserveront encore, pendant un certain temps, de bonnes relations avec l’Arabie saoudite, en attendant de voir si leur « ancien amour », autrement dit l’Iran, est un partenaire sincère pour faire à nouveau un bout de chemin ensemble au niveau énergétique et dans la réorganisation du Proche-Orient. Mais, l’Arabie saoudite risque de plonger rapidement dans la tourmente, même avec un support mitigé des USA. L’Arabie saoudite vit en effet largement au-dessus de ses moyens, surtout avec un baril de pétrole qui a chuté de plus de moitié en un an. Elle se retrouve face à des problèmes structurels graves qui menacent sa cohésion sociale et n’aura bientôt plus le loisir de dépenser sans compter (augmentations salariales et avantages divers offerts à la population) pour pouvoir les étouffer. Son déficit budgétaire sur la seule année 2015 sera de 130 milliards de dollars, soit plus de 20% de son PIB. A ce rythme-là, dans moins de 5 ans, les réserves financières du pays seront totalement épuisées et, le conflit armé qui est en train de s’amplifier entre le Yémen et l’Arabie saoudite n’est certainement pas de bonne augure pour les finances du pays.
Ce sera peut-être finalement parce que les USA ne voudront pas payer pour maintenir en place un régime partageant tellement peu leurs valeurs démocratiques et qui a tué, indirectement, trop d’Américains, que le divorce avec l’Arabie saoudite sera définitivement prononcé.
Michel Hermans et Damien Ernst, professeurs à l’Université de Liège
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