Arabie saoudite et Etats-Unis au bord de la rupture ?
Joe Biden ne digère pas l’alliance de l’Arabie saoudite avec la Russie pour réduire la production de pétrole. Représailles en vue? Mohammed Ben Salmane prend le risque d’une nouvelle déconvenue.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Arabie saoudite a systématiquement voté en faveur des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant l’attitude de la Russie: pour dénoncer l’agression dès le 2 mars, demander un arrêt des hostilités le 24 mars et fustiger l’annexion des territoires ukrainiens le 12 octobre. Même si elle n’applique pas les sanctions contre Moscou, l’ Arabie saoudite s’affiche clairement aux côtés du camp occidental, et des Etats-Unis, dans le conflit.
Cette politique a connu une sérieuse entorse, le 5 octobre, lorsque l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, élargie à la Russie et à ses partenaires (Opep+), a décidé une baisse de la production de deux millions de barils par jour. Objectif affiché: relancer les prix à la hausse. Cette initiative aurait pu simplement traduire la volonté des Etats producteurs, au premier chef l’ Arabie saoudite, de servir leurs intérêts financiers. Elle a surtout été perçue comme une alliance entre Riyad et Moscou pour s’opposer aux intentions des Etats-Unis de faire baisser les prix.
Visite en Arabie saoudite
Le président américain Joe Biden avait consenti à faire le voyage à Djeddah, le 16 juillet dernier, pour tenter de convaincre les dirigeants saoudiens de réviser leur stratégie pétrolière et d’accroître leur production afin de stabiliser les prix. Une démarche qui en coûtait au président démocrate, lui qui avait annoncé vouloir traiter le royaume en paria après la publication d’un rapport de la CIA confirmant que le prince héritier et homme fort du pays, Mohammed Ben Salmane (MBS), avait commandité l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi à l’intérieur du consulat saoudien d’Istanbul en 2018. Les circonstances de la mort du résident américain, démembré par le commando venu de Riyad pour l’exécuter, avait particulièrement choqué.
La décision de l’Opep + revient à signifier à Joe Biden que ses efforts n’ont servi à rien. Le principe «pétrole contre sécurité» semble aujourd’hui menacé.
La décision de l’Opep+ revient à signifier à Joe Biden que ses efforts n’ont servi à rien. En période de campagne pour les élections de mi-mandat, le camouflet est particulièrement douloureux. Le président américain l’a bien compris. «Au vu des récents événements et des décisions de l’Opep+, le président pense que nous devrions réévaluer la relation avec l’Arabie saoudite», a souligné le porte- parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, Jim Kirby, le 10 octobre. Pas question non plus pour Joe Biden de rencontrer le prince héritier à l’occasion du sommet du G20 qui se déroulera les 15 et 16 novembre à Bali, en Indonésie. Les relations entre les deux pays n’ont jamais été aussi glaciales.
Il est difficile de ne pas attribuer une part de responsabilité de cette détérioration à la politique débridée de Mohammed Ben Salman. L’ Arabie saoudite soignait ses relations avec ses voisins. Depuis l’ascension du prince héritier, elle s’est payé une crise profonde avec le Qatar. Elle se gardait d’interférer dans des conflits. Elle est embourbée dans la sale guerre du Yémen. La relation scellée en 1945 entre le roi Abdelaziz al-Saoud et le président américain Franklin Delano Roosevelt, sur le principe «pétrole contre sécurité», était un des piliers de sa politique. Elle est aujourd’hui menacée… De surcroît, on ne perçoit pas jusqu’à présent les gains politiques que ces actions pourraient lui apporter.
Irrésistible ascension
Pour autant, et malgré la tache indélébile de l’assassinat de Jamal Khashoggi, l’accession prochaine sur le trône de Mohammed Ben Salmane ne semble pas être un sujet de discussion au sein du cercle fermé des familles régnantes. Ainsi, MBS a-t-il été désigné, le 27 septembre, Premier ministre, une fonction protocolaire dans le système saoudien mais qui lui assure une immunité lors de ses déplacements à l’étranger en tant que chef de gouvernement, ce qui pourrait être utile au moment où la justice américaine se prononcera sur son implication dans l’affaire Khashoggi.
Malgré la dépendance de l’Arabie saoudite à l’armement américain pour sa sécurité, Mohammed Ben Salmane semble prêt à prendre ses distances avec les Etats-Unis et à se rapprocher non pas de la Russie mais plus vraisemblablement de la Chine. L’ avenir dira s’il s’agit d’une nouvelle bravade aux effets désastreux ou une politique durable qui romprait avec la tradition de la relation privilégiée avec les Etats-Unis.
Le contexte
Le président Joe Biden a affirmé être disposé à réévaluer la relation des Etats-Unis avec l’Arabie saoudite et d’en débattre avec le Congrès. En cause, la décision des membres de l’Opep et de la Russie de réduire la production de pétrole alors que les Etats-Unis avaient pressé Riyad de l’augmenter. Un acte jugé déloyal et hostile à Washington alors que l’image du prince héritier Mohammed Ben Salmane reste grandement ternie par son implication dans l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi.
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