"Pour rapatrier de la production, encore faut-il avoir la capacité de le faire", souligne Philippe Defeyt. © DYLAN MEIFFRET/BELGAIMAGE

Après le coronavirus, quelle relance économique?

Le Vif

Un PIB qui pourrait se contracter de 8 % en 2020, un déficit public d’au moins 7,5 %, une explosion de la dette… Les prévisions de la BNB et du Bureau du Plan sont pessimistes. Mais contrebalancées par l’espoir d’une reprise rapide – dite  » en V  » – après la crise du coronavirus. A condition de prendre les bonnes mesures de relance au niveau belge et européen. Et là, ce n’est pas gagné.

Les économistes se perdent en conjectures sur l’impact potentiel, à moyen terme, de la crise sanitaire sur l’économie. La Banque nationale de Belgique et le Bureau du Plan ont récemment publié des prévisions qui évoquent une lourde récession en 2020 (- 8 % de croissance) suivie d’une  » reprise vigoureuse, en V, en 2021 « , avec une croissance de l’ordre de 8,6 %. André Sapir (professeur à la Solvay Brussels School of Economics et Senior Fellow auprès du centre Bruegel) et Philippe Defeyt (président de l’Institut pour un développement durable) se montrent plus réservés sur la magnitude du choc à venir –  » Qui sait ? «  interrogent-ils. Et surtout critiques quant à la tentation exprimée par certains du repli sur soi, aux antipodes selon eux de la raison économique. Leur conseil : quitte à s’endetter, pourquoi ne pas penser conjointement le défi climatique ?  » Encore faut-il que la volonté politique soit présente.  »

Une crise profonde, mais pas structurelle

Sur le plan macro, les deux économistes de renom rappellent que la crise qui se profile a des racines exogènes au fonctionnement de l’économie. De là à tabler sur un redémarrage automatique de l’activité, il y a un pas qu’ils ne franchissent pas. Même dans le scénario d’une reprise classique, il va falloir patienter.

Le coronavirus a fait naître des vocations de boursicoteurs. nombreux sont les Belges à se manifester auprès de courtiers.

 » Le principal enjeu, souligne Philipe Defeyt, c’est d’éviter les faillites, car des problèmes de solvabilité vont se poser pour de nombreuses entreprises. Un redémarrage organique est possible, mais cela prendra du temps. Cyniquement, on pourrait même se dire que cette crise va provoquer une sorte de sélection naturelle. Seules les entreprises les mieux adaptées s’en sortiront mais, même là, il faudra du temps pour ressentir les effets positifs.  »

André Sapir, de son côté, refuse de parler de crise de structure, car il n’y en a pas eu per se comme en 2008, sauf sur le plan sanitaire. Il n’en demeure pas moins,pour lui, que nous sommes confrontés à un choc massif :  » On voit qu’une sortie de crise en V (NDLR : une baisse rapide et significative de croissance, suivie de près par une hausse tout aussi rapide et significative) est très peu probable. La reprise sera lente et graduelle.  »

Globalisation : la fin d’un modèle ?

Face aux pénuries de certains biens de première nécessité, masques et autres produits sanitaires en tête, les appels à relocaliser des chaînes de production (en Belgique ou en Europe) se multiplient. Le signe d’une inflexion dans le processus de globalisation ?

 » On voit certains mouvements en ce sens, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain. Pour rapatrier de la production, encore faut-il avoir la capacité de le faire. La vraie question, c’est de savoir si on est prêt à en payer le prix. Est-on disposé à échanger plus de proximité au prix d’une baisse du pouvoir d’achat ?  » interroge Philippe Defeyt, pour qui l’un ne va pas sans l’autre.  » Je pense que nous sommes prêts à cet arbitrage pour la santé, mais il faut être attentif à ne pas se replier sur soi. On ne va pas installer une usine de masques à côté de chaque hôpital.  » Et de mettre en garde contre le retour de flamme d’un tel comportement :  » Si on se verrouille d’un côté, la réciproque est vraie aussi.  »

Pour André Sapir, l’économie globalisée n’est pas responsable des pénuries que nous connaissons aujourd’hui :  » Je tire même la leçon inverse. Les pénuries actuelles résultent d’un manque de coopération. Il est illusoire, même au niveau européen, de penser que l’on peut vivre en autarcie. Il faut absolument éviter de s’inscrire dans une spirale égoïste. Oui, il est nécessaire d’avoir des stocks de ressources stratégiques et oui, ces stocks doivent être gérés collectivement en bonne intelligence, mais doit-on pour autant relocaliser la production ?  »

Selon l’économiste, une fois que l’on commence à réfléchir ainsi, on s’inscrit dans une philosophie du repli qui n’a pas de limite. Malheureusement, André Sapir reconnaît que la conjoncture politique ne va pas dans ce sens :  » Les dissensions que l’on connaît sur le plan international minent les efforts de coopération. C’était déjà vrai avant la pandémie, qui ne fait que les catalyser.  »

Relancer durablement l’économie

Tout est-il noir pour autant ? En chinois mandarin, le mot crise ( weiji) est la contraction des caractères  » danger  » et  » opportunité « . Signe que dans toute difficulté, il y a aussi des enseignements. Une perspective que souligne Philippe Defeyt :  » La crise montre tout le problème qu’il y a à dépendre des autres pour des variables stratégiques. Et la variable clé aujourd’hui, c’est l’énergie, pour laquelle nous dépendons partiellement de régimes douteux et de routes commerciales fragiles.  »

Pour ce chantre du développement durable, il n’y a pas de doute :  » Il faut repenser la transition écologique en même temps que la sortie de crise.  » Un avis que partage André Sapir, lequel déplore l’absence d’un plan d’action concerté au niveau européen :  » On sait déjà que les dépenses et les dettes publiques vont massivement augmenter en Europe (lire l’encadré plus bas), mais il n’existe pas de plan de relance coordonné. Il y a une prise de conscience collective de l’état d’urgence, mais aucun accord sur la mise en oeuvre.  »

Par Clément Jadot.

Eurogroupe : « Un accord positif, pas historique »

Les ministres des Finances européens se sont finalement mis d’accord, le 9 avril, sur un plan d’aide sans précédent à l’économie européenne, chiffré à 540 milliards d’euros. Une décision qui confirme la solidarité entre les Européens, sans révolutionner leur manière de fonctionner.  » L’accord mentionne le terme de solidarité à plusieurs reprises, ce qui témoigne de l’esprit de coopération qui règne chez les Européens et de la prise de conscience de leur interdépen-dance. C’est loin d’être anecdotique « , souligne le professeur Sapir.

Au-delà de la symbolique, cette solidarité a été traduite en mesures tangibles. Pour l’économiste, spécialiste des matières européennes,  » ces mesures vont dans le bon sens. On anticipe un creusement des déficits et des dettes publiques et on vient en aide aux Etats qui font déjà beaucoup pour préserver l’outil économique.  » Mais cela demeure peu ambitieux.  » Les mesures restent de l’ordre du prêt : on autorise les Etats à s’endetter à des taux avantageux pour mener leurs propres politiques de relance. Ça aurait été historique si on s’était accordés sur un plan de relance coordonné, par exemple à partir d’un endettement commun, ce qui est le principe sous-jacent des coronabonds défendus par certains « , explique André Sapir. La décision appartient désormais aux chefs d’Etat, qui semblent peu disposés à bouger sur la question.

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