Après la perte de sa capitale Raqqa, l’Etat islamique est-il proche de la fin ?
Les Forces démocratiques syriennes ont affirmé contrôler 90% de la ville de Raqqa, la capitale militaire et politique du groupe terroriste EI. Un coup dur de plus pour l’organisation. Le territoire détenu par les djihadistes ne cesse de diminuer, mais la fin de l’organisation ne semble pas si proche qu’on pourrait le croire.
Les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition qui rassemble des combattants arabes et kurdes, soutenue par les Etats-Unis, ont annoncé que l’offensive pour reprendre Raqqa était entrée « dans sa phase finale ». L’alliance militaire avait lancé l’assaut en juin dernier après plusieurs mois d’affrontements intenses dans la région.
Les FDS ont déclaré contrôler environ 90% de la ville et expliquent dans un communiqué que « la bataille va se poursuivre jusqu’à ce que toute la ville soit nettoyée des terroristes qui refusent de se rendre, y compris les étrangers ».
Des djihadistes se sont rendus
Samedi, les Forces démocratiques syriennes ont organisé l’évacuation des civils. Plus de 3000 personnes ont ainsi pu fuir Raqqa pour se rendre dans des zones contrôlées par la coalition, « Il n’y a désormais plus de civils pris au piège comme bouclier humain. Il reste seulement 250 à 300 terroristes étrangers qui ont refusé l’accord et ont décidé de se battre jusqu’au bout et des proches de certains de ces combattants »a précisé un porte-parole des FDS, Talal Sello.
Toujours selon M. Sello, environ 275 combattants du groupe de l’EI, ainsi que leur famille, se sont rendus samedi à la suite d’un accord négocié et vont être évacués. On saura plus tard le sort qui devra leur être réservé. Par contre, l’administration locale mise en place par la coalition, le conseil civil de Raqqa, a confirmé que les djihadistes étrangers n’avaient pas été autorisés à partir. « Les étrangers de Daech ne peuvent pas être pardonnés », a communiqué le conseil local.
Le porte-parole de la coalition internationale, le colonel Dillon, va dans le même sens : « Soit ils restent se battre, soit ils se rendent sans condition, nous ne voulons surtout pas que les combattants étrangers soient libérés et qu’ils puissent retourner dans leur pays d’origine ».
Raqqa était considérée comme « la capitale du terrorisme ». Les attentats perpétrés en Europe ces dernières années ont probablement été directement planifiés depuis le bastion syrien. La ville était tombée aux mains du groupe terroriste en 2014, devenant la première entité totalement sous son joug. L’EI a pratiqué un véritable « régime de terreur » dans la ville et a géré la gouvernance comme un vrai état. Raqqa fut le théâtre d’atrocités sans nom, notamment des exécutions et du trafic d’êtres humains. Le groupe contrôlait en 2014 toute la province du même nom, mais commence à perdre beaucoup de villes aux alentours dès 2015, reprises par les forces kurdes.
Quels territoires sont encore contrôlés par l’EI ?
La perte désormais certaine de leur capitale est un coup très dur pour le groupe Etat islamique. Le groupe terroriste a également subi un important revers plus au sud, dans la ville de Al-Mayadeen.
Al-Mayadeen a été reprise par l’armée syrienne samedi 14 octobre avec l’appui de l’aviation russe et était considérée aussi comme un autre bastion important de l’organisation. La ville était devenue la capitale d’une province de leur califat auto-proclamé, et couvrait des zones syriennes comme irakiennes. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), la ville était défendue par plusieurs milliers de djihadistes, dont un millier en provenance Caucase et des Républiques d’Asie centrale, rappelés en renfort depuis l’Irak.
Début juillet, la capitale de l’EI en Irak, Mossoul, était déjà tombée aux mains de l’armée irakienne, après plus de huit mois de combats acharnés. Une autre place forte du groupe terroriste en Irak, Tal Afar, a quant à elle été reprise à la fin du mois d’août. La ville était un lieu stratégique car elle se trouvait sur une route reliant l’Irak à la Syrie. Après cette nouvelle défaite, le groupe djihadiste ne contrôlait presque plus aucun bastion important dans le pays.
En septembre dernier, la province de Raqqa en Syrie était perdue par l’EI.
Début octobre, l’EI avait été chassé de la province syrienne de Hama et avait ensuite perdu la ville irakienne d’Hawija.
En juin 2017, le groupe Etat islamique avait perdu plus de 60% de son territoire initial. En Syrie, les djihadistes contrôlent encore une zone à l’est de l’Euphrate entre la ville d’Al-Mayadeen et celle de Bou Kamal, à la frontière avec l’Irak. Cet espace représente environ 20.000 km2. Le groupe possède encore quelques poches à l’est de Homs (ouest du pays), dans la vallée du Yarmouk, près du plateau du Golan contrôlé par Israël, un quartier au sud de Damas ainsi que la région de Doumeir, au nord-est de la capitale syrienne. Côté irakien, les djihadistes contrôlent encore 3 villes dans le désert de l’ouest du pays, dans la province d’Al-Anbar (dans le prolongement de son dernier bastion important syrien, Bou Kamal, à la frontière entre les deux pays). La région semble plus difficile à reprendre, car les plus fanatiques des combattants s’y trouveraient et bénéficieraient de complicités des tribus locales.
La perte de territoires ne signifie pas spécialement la défaite de l’EI
Même si l’organisation a enregistré de nombreux revers et coups durs ces derniers mois, plusieurs spécialistes de la question ne pensent pas pour autant que l’EI soit totalement hors d’état de nuire. En septembre, les renseignements russes estimaient le nombre de djihadistes encore présents en Syrie à 10.000, un chiffre nettement plus élevé qu’en Irak, même s’il existe toujours un système de commandement performant dans le pays.
Selon l’ancien général de l’armée libanaise et expert des questions du Moyen-Orient Elias Farhat, interrogé par RFI, « le groupe n’envisage pas de cesser le combat et va se battre jusqu’au bout ». Il explique que la stratégie du groupe terroriste, qui a bien compris qu’il ne pourrait garder éternellement ses positions et ses villes, était de se replier vers les zones désertiques. « L’EI a stocké dans le désert des armes, des munitions, des explosifs, ainsi que des vivres et de l’eau. Il s’est préparé à une longue guerre d’usure ». Cette stratégie de repli vers le désert semble être d’application tant en Syrie qu’en Irak.
Le commandement principal est toujours performant et permet aux djihadistes de recevoir rapidement des ordres et de les exécuter, c’est pourquoi de nombreux attaques « surprise » contre l’armée syrienne ont été recensées. Cette stratégie vise à freiner les avancées des forces du gouvernement syrien et leurs alliés, mais ne permettra pas de changer le cours de la guerre. « La bataille durera plus longtemps et fera davantage de victimes, mais l’EI ne pourra tout de même pas modifier le rapport de forces », conclut M. Farhat.
La perte de territoires est évidemment une grande victoire et un signe d’affaiblissement aux yeux de beaucoup d’observateurs. Mais beaucoup expliquent que ce « califat virtuel », reste tout aussi dangereux, car Daech reprendrait simplement sa stratégie précédente, bien moins visible et lisible, et qui comprend, en gros, le terrorisme, la guérilla, la propagande et le gangstérisme.
Dans un article publié fin septembre, et repris par le journal La Croix, les chercheurs Haroro Ingram et Craig Whiteside pensent que « la perte de Raqqa va marquer la transition de Daech d’unités conventionnelles vers des cellules clandestines dans les espaces sous-gouvernés de la Syrie et de l’Irak. Leur mission sera simple : rester en vie et refaire leurs forces pour des opportunités futures. Dans les coins les plus sombres du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie, ses militants chercheront à maintenir le rêve vivant, et pour, les plus ambitieux, à propulser leur lutte à l’avant-garde du djihad mondial. La machine de propagande sera chargée de transformer la simple survie en une lutte glorieuse vers un succès imminent ».
« L’Etat islamique a une grande capacité de résilience », souligne Cédric Mas, historien et spécialiste des questions militaires et stratégiques, dans un article de RFI. « La perte de territoire ne signifie pas, contrairement à ce qu’on l’on croit, à la fin de l’Etat islamique. Ils ont des réseaux clandestins. Dans la province d’Al-Anbar, de nombreuses cellules de l’organisation sont en extension, à la fois pour l’extorsion de fonds, le financement, mais aussi pour des actions terroristes. La propagande va toujours vouloir susciter des vocations et des attaques. Ce n’est pas nouveau. Ça leur permet aussi de faire diversion sur les territoires dans lesquels ils souhaitent résister », termine M. Mas.
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