Des clients testent l’iPhone 16 à l’Apple store de Shanghai. © GETTY

Droits de douane américains: comment Apple et son iPhone sont embourbés dans le chaos trumpien

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Marche arrière du président américain: smartphones et ordinateurs sont, provisoirement, exemptés des surtaxes douanières. Pour Apple, quitter la Chine et relocaliser aux Etats-Unis n’est pas réaliste.

En annonçant le 11 avril l’exemption des hausses de droits de douane pour les smartphones et ordinateurs, en ce compris ceux fabriqués en Chine, dernier pays affecté par les surtaxes après la suspension pour 90 jours de celles décidées pour les autres Etats, Donald Trump a paru à nouveau faire marche arrière pour épargner les sociétés américaines très dépendantes de leur partenariat avec le géant asiatique. Entre-temps, l’administration américaine a tempéré la portée de la décision en évoquant une mesure temporaire et un projet de taxation spécifique sur le secteur technologique. Un certain flou prévaut, peu propice aux engagements sur le long terme des entreprises.

Question de survie

Première société censée bénéficier de l’exemption, Apple, et son iPhone, dont 80% de la production serait encore exportée de Chine. La dépendance à ce pays de la firme à la pomme remonte à un quart de siècle. «Ce modèle économique est en vigueur depuis la fin des années 1990, rappelle Nicolas Sabatier, enseignant à l’université de Montpellier et auteur de L’Histoire d’Apple: 45 ans d’innovations (Omaké Books, 2021). Quand Steve Jobs revient à la tête d’Apple en 1997, la société a pour environ deux milliards de dollars en stocks. Elle est dans la pire des situations économiques, à deux doigts de la faillite. Il recherche quelqu’un qui puisse maîtriser la gestion des stocks, et, au-delà, toute la chaîne logistique. Il embauche Tim Cook en 1998, l’actuel patron d’Apple. Celui-ci a tout transformé. Avant son arrivée, Apple avait trois usines, une aux Etats-Unis, une en Irlande et une à Singapour. Chacune était censée produire les appareils pour chaque zone géographique, Amériques, Europe, Asie. Il les a fermées. Et il a externalisé la production, principalement en Chine, dans une même ville, Shenzhen.»

Déjà lors du premier mandat de Donald Trump de 2017 à 2021, la pression a été mise sur les patrons de la tech américaine afin qu’ils relocalisent une partie de leur processus de fabrication aux Etats-Unis. Pour être dans les bonnes grâces du président, Tim Cook promet alors de transférer sur le sol américain la production de certains articles, notamment le MacBook Pro, l’ordinateur très haut de gamme d’Apple. Mais cela n’a pas vraiment été le cas. Il a juste ouvert une usine d’assemblage, détaille Nicolas Sabatier.

«Il n’y a pas de main-d’œuvre aux Etats-Unis pour fabriquer des produits de ce type.»

Le choc de la crise du Covid

En revanche, «la crise du Covid a donné un signe d’alerte important quant à la dépendance envers la Chine. Depuis, Apple a voulu diversifier au maximum sa production. Elle a commencé à le faire au Vietnam, en Inde, au Brésil. Cette démarche a aussi été motivée par le comportement de plus en plus dur du président chinois Xi Jinping. Mais il s’agit d’un travail de longue haleine. Une grande partie de la production d’Apple restera longtemps encore en Chine. Une telle diversification est extrêmement complexe», analyse l’enseignant de l’université de Montpellier.

Une relocalisation aux Etats-Unis l’est encore davantage. Nicolas Sabatier pointe trois écueils qui rendent le projet de Donald Trump fort hypothétique dans le secteur technologique. «Premièrement, il n’y a pas de main-d’œuvre aux Etats-Unis pour fabriquer des produits de ce type. Le pays est actuellement au plein emploi. Les sociétés rencontrent beaucoup de difficultés à embaucher, dans n’importe quelle profession. Un exemple: il est très compliqué aujourd’hui de construire des datas center parce qu’il n’y a pas assez d’électriciens. La recherche de main-d’œuvre est d’autant plus difficile que Donald Trump veut dans le même temps limiter au maximum l’immigration, voire renvoyer les étrangers, notamment ceux venant du Mexique et d’Amérique du Sud, les plus à même de travailler dans ce genre d’usines. Deuxième élément extrêmement important, la production d’Apple se fait principalement en Chine parce que tout y est conçu pour le faire. A Shenzhen, une seule usine de Foxconn emploie 200.000 personnes. Des milliers de fournisseurs gravitent autour d’elle. La main-d’œuvre est disponible très rapidement. Des centaines d’ingénieurs peuvent répondre à un appel de recrutement dans la semaine, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis. Enfin, troisième élément, la pollution. Les usines qui fabriquent en grande quantité des produits électroniques polluent énormément. Délocaliser la production d’Apple en Asie du Sud-Est a aussi permis d’externaliser les problèmes de pollution.»

Dans ces conditions, difficile d’imaginer que les centaines de millions d’iPhone 16 (387 pièces dépendant de 187 fournisseurs, dont 169 se trouvent en Chine ou à Taïwan) produits chaque année puissent l’être aux Etats-Unis. La réalité économique risque bien de rabaisser les ambitions géoéconomiques de Donald Trump.

G.P.

 

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