Gérald Papy
Angela Merkel ou la difficulté croissante de gouverner
Aussi inédite soit-elle en Allemagne, la crise politique qui prive – momentanément ? – Angela Merkel d’un nouveau mandat de chancelière est le reflet d’une tendance qui s’impose depuis quelques années en Europe : former un gouvernement relève de plus en plus souvent de la mission impossible.
Le précédent le plus emblématique – et le plus proche de la conjoncture allemande si un retour aux urnes ne peut être évité – a été observé en Espagne où, malgré deux rounds électoraux en décembre 2015 et juin 2016, les responsables politiques ont été incapables de former un exécutif majoritaire. Le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy ne survit que grâce au soutien extérieur des centristes de Ciudadanos et de formations régionalistes. Une configuration semblable prévaut au Portugal (coopération de partis de la gauche radicale avec un exécutif dirigé par les socialistes), au Danemark (soutien de l’extrême droite du Parti populaire danois à une coalition de droite et du centre) et au Royaume-Uni où la piètre performance des conservateurs de Theresa May au scrutin législatif anticipé de juin 2017 a nécessité une entente avec le très droitier Parti unioniste démocrate d’Irlande du Nord. L’Italie vit sous le régime du gouvernement transitoire de Paolo Gentiloni depuis le » non » au référendum constitutionnel de décembre 2016, avant des élections prévues en 2018. Dans un Etat pourtant rompu aux alliances gouvernementales comme les Pays-Bas, le Premier ministre sortant Mark Rutte a dû batailler pendant 208 jours et nuits – record de 1977 égalé – pour mettre d’accord les quatre formations de centre-droit et de centre-gauche candidates au pouvoir. Et même la France de tradition bipartisane a cru un instant devoir recourir ce printemps à une coalition que seul l’effet Macron sur La République en marche lors des législatives lui a évité. Bref, le pouvoir se dilue. Parenthèse accidentelle ou modèle durable ?
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Plusieurs facteurs profonds peuvent expliquer ce phénomène. L’affaiblissement des familles politiques historiques en Europe, de gauche et de droite, résulte de l’usure du pouvoir et de leur échec à surmonter la crise économico-financièro-sociale de 2008. Ce constat, partagé par de plus en plus de citoyens, a dopé les partis de protestation, d’extrême droite ou d’extrême gauche et populistes (comme le Mouvement 5 étoiles italien). Il a aussi accéléré la dispersion de l’offre politique avec l’entrée en lice de formations nouvelles (issues du mouvement des Indignés comme Podemos ou ravivées sur les ruines du centre, à l’instar de Ciudadanos et de La République en marche). Des revendications régionalistes – toujours amplifiées par les dépressions économiques – et communautaristes – sur l’autel des tensions autour de l’islam politique – ont encore accentué la tendance. Enfin, des thèmes d’actualité particulièrement clivants se sont imposés aux gouvernants européens, l’afflux inédit de migrants de 2012 à 2015 en raison de la guerre en Syrie et en Irak (dont le traitement courageux spécifique à l’Allemagne est sans doute préjudiciable aux ambitions d’Angela Merkel), la récurrence du terrorisme islamiste, la prise de conscience des affres de la mondialisation, le creusement des inégalités et jusqu’au rôle de l’Union européenne dont les bienfaits faisaient jadis quasi consensus. Ainsi, l’élargissement de l’éventail politique, un indice en soi de vitalité démocratique, s’il handicape la formation de gouvernements au point de contribuer à la montée des extrêmes aux élections suivantes, pourrait favoriser des forces moins respectueuses de la démocratie. Cruel paradoxe que tous les dirigeants démocrates devraient avoir l’intelligence de prévenir en évitant de sombrer dans la politique politicienne à la petite semaine.
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